Honni soit qui Malonne pense ! (Méfions-nous des justiciers)

Honni soit qui Malonne pense !

(Méfions-nous des justiciers)

 

« Soeur Clarisse, ne vois-tu rien venir ?

.... Je vois le ciel qui rougeoie,

les corbeaux qui tournoient,

les banderoles qu'on déploie,

les murs qu'on taguoie,

les médias qui aboient,

la haine qui flamboie,

mais jamais notre volonté ne ploie... »

 

Voilà qui pourrait être l'hymne du couvent des Clarisses à Malonne, havre désigné pour Michelle Martin - et on pourrait en rester là. Faut-il vraiment ajouter des mots aux mots, sa pierre à la montagne qui défigure déjà notre paysage médiatique ? Ne vaut-il pas mieux se taire ? Peut-être. Mais voilà : « en face », là où je ne me reconnais pas, on se garde bien de se taire ; nous sommes bombardés d'appels à signer des pétitions, à participer à une nouvelle Marche Blanche ou au moins à nous indigner virtuellement, pour tout et n'importe quoi : pas seulement parce que « la monstre » va retrouver une toute relative liberté, mais aussi parce qu'elle va bénéficier du revenu d'intégration ou même... parce qu'elle demande plus de papier WC en prison (1). Je vais donc tenter d'expliquer pourquoi je décline toutes ces invitations.

 

 

* *

 

*

 

 

Ainsi donc, à moins que la Cour de Cassation ne déniche une obscure faute de procédure, Michelle Martin devrait obtenir sa libération conditionnelle avant la fin de l'été. Et si ce n'est pas cette fois-ci, ce sera pour une prochaine tentative, dans quelques semaines, ou quelques mois. Libérée, oui, mais sûrement pas libre : pas libre de ses mouvements – parmi les nombreux « justiciers » qui la menacent, tous ne parlent pas en l'air ; ni sans doute libre dans sa tête – mais cela, elle seule le sait (2).

 

Du fond de leur couvent, une poignée de soeurs résistent vaillamment aux pressions, aux manifestations, parfois aux insultes, pour défendre leur modeste conviction : « Nous avons pensé que personne n'y gagnerait dans notre société si on laissait la violence répondre à la violence. Nous avons la profonde conviction qu'enfermer définitivement le déviant dans son passé délictueux et l'acculer à la désespérance ne serait utile pour personne ». Elle sont donc prêtes à accueillir la réprouvée, même en sachant que la réprobation déteint sur tout ce qui l'approche. Le dessinateur Pierre Kroll n'a pas hésité à suggérer qu'elles cherchaient de la publicité (3), alors qu'elles ne demandent qu'une chose : qu'on les laisse tranquilles. Loin de vouloir parader dans les médias, elles leur demandent de « respecter notre vie privée et de ne pas nous envahir au monastère ».

 

« La justice n'est pas la vengeance »

 

Peut-on comprendre la colère des victimes et de leurs proches et tenter pourtant de dire pourquoi cette libération n'est pas un « scandale », et au-delà de ce cas particulier, pourquoi il ne faut pas durcir la législation sur la libération conditionnelle mais au contraire, repenser le principe même de la prison ? Ce n'est pas le moment ? Si, justement, c'est le moment. Les discours les plus forts contre la peine de mort ne concernent pas des innocents injustement condamnés mais des assassins sans pitié (4), des salauds qu'on étranglerait bien de ses propres mains, si la société n'était là pour nous rappeler que « la justice n'est pas la vengeance » (5).

 

Je ne suis pas juriste, je suis donc bien incapable de juger par moi-même si Michelle Martin remplit toutes les conditions pour une libération conditionnelle. Je constate que des magistrats indépendants, qui connaissent la loi, ont estimé que oui. J'en prends acte, même si ce n'est pas un argument suffisant à mes yeux.


Car je ne suis pas non plus une fanatique du respect de la légalité à n'importe quel prix. Lorsqu'on estime qu'une loi est injuste, il n'y a rien d'indécent à vouloir la changer - c'est le principe même de la démocratie - ou même, le cas échéant, de la transgresser. A l'époque où l'avortement était interdit, il est heureux qu'il se soit trouvé des femmes et des hommes qui le pratiquaient par conviction et militantisme ; quand l'euthanasie était considérée comme un meurtre, il est magnifique que des médecins, des infirmières, ou simplement des proches, aient eu le courage d'aider des personnes qui voulaient mettre fin à leurs souffrances. Aujourd'hui que la tendance est à la criminalisation de l'aide aux sans papiers, j'ai une grande admiration pour celles et ceux qui prennent le risque de passer outre.

 

Je ne suis pas chrétienne ; l'idée même de « rédemption » m'est totalement étrangère et quant à la charité, je l'ai toujours considérée comme un manteau pudiquement jeté sur les épaules de l'injustice. Je trouve l'attitude des soeurs de Malonne courageuse et juste, mais en même temps, il me paraît anormal que ce soit des actrices privées, et de plus religieuses, qui prennent en charge un cas aussi problématique. C'est aux pouvoirs publics de s'occuper de la réinsertion, au moins autant que de la répression. On dira que c'est Michelle Martin qui a choisi cette solution ; peut-être, mais en réalité il n'en existait pas d'autre (on évoque déjà une possible alternative dans un couvent néerlandais - un couvent, toujours).

 

« On préfère les gens qui pleurent à ceux qui réfléchissent »

 

Enfin, on me dira que n'ayant pas d'enfants, je ne peux pas comprendre comment je réagirais « si c'était arrivé aux miens », comme je le lis ici ou là. Argument suprême. Mais j'ai des proches, et je peux très bien imaginer comment je réagirais si l'on s'en prenait à eux, si l'un/e d'eux/elles était enlevé/é, violé/e, laissé/e pour mort/e. Mais j'espère qu'il y aurait alors des gens autour de moi pour me retenir ; et une société capable d'entendre et de respecter ma colère, sans me donner le droit de faire justice moi-même. Je constate aussi qu'il y a d'autres chemins possibles, même pour les proches des victimes ; ainsi de Gino Russo déclarant au Soir : « Vous me demandez de laisser parler mon cœur, mais je ne veux pas le faire, même si on va libérer quelqu’un qui est responsable de la mort de ma fille. On essaie de m’entraîner sur ce terrain, de m’y faire sombrer. Je m’y refuse. Mais je sais qu’on préfère les gens qui pleurent à ceux qui réfléchissent. Je veux resterrationnel. Et c’est pour cela que je veux lire l’arrêt argumenté du tribunal avant de donner un avis circonstancié » (6). Ou encore Jean-Pierre Malmendier – pourtant sénateur MR et partisan des peine incompressibles – choisissant de rencontrer l'assassin de sa fille (7). Je ne prétends pas que ces attitudes sont « meilleures », même si je les admire : mais je constate qu'il peut y avoir des réactions différentes, y compris chez des personnes personnellement touchées.

 

Je ne suis pas criminologue, mais j'en sais assez sur la prison pour penser que c'est un héritage de barbarie et qu'un jour, on la considérera comme une institution dépassée et inhumaine, comme le sont pour nous, aujourd'hui, la torture ou la peine de mort. Bien sûr, la société doit se protéger de certaines personnes dangereuses en les mettant à l'écart ; mais si elle cessait d'enfermer à tort et à travers, elle aurait davantage de moyens de s'occuper de ces personnes-là. La prison n'est qu'une cage à humiliation et un nid à récidivistes ; si l'on n'est guère ému par sa cruauté – parce qu'on veut « punir », et plus c'est dur plus on est content – on pourrait au moins se montrer sensible à son inefficacité. Plutôt que d'allonger les peines ou de construire de nouvelles prisons – qui déborderont à leur tour – il serait temps de réfléchir à d'autres réponses face à la délinquance, puisque des idées et des expériences existent, d'une justice « réparatrice », « transformatrice » ou « restauratrice », plus humaine et plus utile. Il y a peu, des ami/es se réjouissaient de la condamnation à la prison ferme de patrons-voyous qui avaient détourné des millions et provoqué la faillite de l'entreprise qu'ils avaient reprise, jetant des centaines de travailleurs à la rue (8) : une sanction rare qui peut réjouir celles et ceux qu dénoncent – souvent avec raison – une justice de classe, mais à laquelle j'aurais préféré une autre réponse, comme la confiscation de leurs biens et l'obligation de vivre pendant un certain nombre de mois ou d'années avec une allocation de chômage...

 

Mais hélas, à voir les réactions des politiques, cette réflexion tellement indispensable n'est pas à l'ordre du jour. Du MR au PS, en passant par le CDH, Ecolo ou même le PTB, les partis rivalisent pour « comprendre l'indignation de la population » - comme si « la population » était homogène et unie, comme si « l'émotion » devait rendre impossible tout débat politique (9).

 

« Nous ne pardonnons pas. Redoutez-nous  !»

 

Et pour finir, je voudrais dire à quel point je me méfie de tous ces aspirants-justiciers, et plus encore quand ils avancent masqués. Sans même parler de la récupération par l'extrême-droite, il y a ce communiqué des Anonymous (10) qui donne froid dans le dos, se terminant par cette menace à peine voilée : « Nous sommes Anonymes (le courage, quoi !) Nous sommes Légion. Nous ne pardonnons spas. Nous n'oublions pas. Redoutez-nous ». Il y a, en effet, de quoi redouter...

 

Pourtant, tous ces apprentis vengeurs devraient se souvenir combien la prétention de « pureté » peut être dangereuse ou ambigüe, comme le montre la navrante histoire de Maître Hissel (11). Et quant aux parents qui tremblent à l'idée qu'une telle horreur puisse arriver à leurs enfants, peut-être devraient-ils aussi imaginer que ceux-ci pourraient être un jour non pas victimes, mais bourreaux, et qu'ils seraient alors enfermés dans ces lois qu'ils veulent tellement rendre plus rigoureuses... Car, eh oui, Martin et Dutroux ont aussi eu des parents.

 

Et pour terminer, je voudrais simplement reprendre ces paroles de Carine Russo, invitée dans une classe où les enfants n'imaginaient pas pour Dutroux d'autre verdict que la mort : ces enfants ont « compris ce qu’on ressent très fort à l’intérieur de nous. Mais c’est pas parce qu’on ressent ça très fort à l’intérieur de nous qu’on peut continuer cet esprit de vengeance, cette haine. On ne peut pas pour la bonne raison que ça nous détruirait nous-mêmes parce que, si on fait passer cette haine au-dessus de toutes les règles qui font en sorte qu’il y ait le moins de violence possible, on détruit énormément de choses qu’on a construites depuis tellement et tellement d’années pour que le monde aille quand même mieux ».

 

 

(1) Comme l'écrit excellement Anne Löwenthal sur son blog : http://annelowenthal.wordpress.com/2012/08/14/avec-ceci-aussi-si-vous-limprimez/

(2) Bien que les médias se fassent complaisamment l'écho de l'interview d'un cousin dans Paris-Match qui affirme qu'elle n'a jamais exprimé le moindre regret... alors même que, selon ses propres déclarations, il n'a plus le moindre contact avec elle depuis 2004. Contradiction que les journalistes ne semblent pas relever... Voir par exemple http://www.lesoir.be/actualite/belgique/2012-08-09/michelle-martin-est-passee-de-manipulee-a-manipulatrice-931209.php

(3) http://mediatheque.lesoir.be/v/le_kroll/36920120802k.jpg.html?

(4) Voir par exemple dans le « Décalogue » de Kristof Kieslowski, le 5ème commandement, « Tu ne tueras point », où la pendaison d'un jeune meurtrier est montrée avec autant de cruauté que son crime.

(5) Selon le titre d'une très belle tribune d'Antoine Leroy dans la Libre Belgique : http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/753270/la-justice-n-est-pas-la-vengeance.html

(6) Le Soir, 31/7/2012

(7) http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/753645/comment-une-victime-peut-rencontrer-un-meurtrier.html

(8) http://www.humanite.fr/social-eco/henin-beaumont-prison-ferme-pour-les-patrons-voyous-de-samsonite-500371

(9) Pour une analyse détaillée, voir l'excellent papier d'Ettore Rizza, http://www.levif.be/info/actualite/belgique/michelle-martin-et-le-carnaval-des-hypocrites/article-4000160965471.htm

(10) http://anonbelgium.blogspot.be/2012/08/communique-de-presse-opmichele-martin.html

(11) Maître Hissel a été l'avocat des parents de Julie et Melissa, avant d'être condamné quelques années plus tard pour pédopornographie

(12) Extrait du documentaire « Les enfants de l'année blanche » réalisé par Agnès Lejeune, JP Grombeer et J.Duez ans l'émission Faits divers, RTBF, du 5/11/1997. Voir aussi http://www.larevuetoudi.org/fr/story/tuer-ou-ne-pas-tuer-dutroux-septembre-1996

 

 

Mis à jour (Mercredi, 15 Août 2012 10:28)

 

Femme de la rue, rue dans les brancards !

 

Donc, voilà l'info du jour : les femmes se font harceler dans les rues de Bruxelles (ajouter, l'air effaré : dans la capitale de l'Europe, au XXIème siècle !). Qui l'eut cru ! On comprend la hâte des médias à se disputer ce « scoop ». Accordons ce mérite à Sofie Peeters : son documentaire « Femme de la rue » a obligé certains (et aussi certaines) à rezgarder en face une réalité trop souvent occultée, celle du sexisme dans l'espace public. Rien que l'irruption de ce terme, « sexisme », dans les journaux aux heures de grande écoute, c'est déjà un événement en soi.

 

« Briser le tabou » ?

Pour celles et ceux qui n'en auraient pas encore entendu parler, « Femme de la rue » suit une jeune femme débarquant dans la « jungle » bruxelloise, quartier Anneessens, et découvrant le triste sort réservé à ses congénères. A chaque sortie, elle se fait aborder, insulter, harceler. Après un moment de culpabilité (a-t-elle fait quelque chose de mal, a-t-elle provoqué ces comportements ?), elle décide de filmer ces situations en caméra cachée, et d'interviewer d'autres femmes sur leur vécu. Le résultat est cruel.

Ce film est un travail de fin d'études, un coup de gueule et non un documentaire professionnel, longuement réfléchi et construit. On ne peut donc pas tout lui reprocher. Pourtant, il provoque un malaise d'autant plus profond qu'il bénéficie d'une incroyable médiatisation. Organisée le 26 juillet, l'avant-première a rempli une salle de cinéma bruxelloise ; le film est projeté à la télévision, l'auteure interviewée par les plus grands médias - et même le big boss de la Sûreté de l'Etat a un avis sur la question !

C'est que son film aurait « brisé un tabou ». Et si au contraire, son succès était dû au fait qu'il se glisse si bien dans l'air du temps ?

Sur au moins quatre points, le film est contestable : la supposée nouveauté du phénomène, les caractéristiques de ses auteurs, l'analyse de leurs motivations et enfin, et surtout, le message implicite envoyé aux femmes et aux jeunes filles.

 

« Un terrible recul » ?

La nouveauté, d'abord : on entend une femme déclarer qu'il y a trente ans, elle pouvait se promener tranquillement. Et la RTBF de renchérir sur un « terrible recul des libertés des femmes ». Il y a trente ans, j'étais jeune, je n'avais déjà rien d'une pin up, et pourtant, j'ai pas mal de souvenirs (dont certains très désagréables) du harcèlement en rue, y compris dans des endroits très « select » (comme Deauville ou le campus de Nice, par exemple). Le phénomène est sans doute plus visible parce que les femmes en parlent davantage, peut-être aussi parce que les jeunes femmes refusent davantage l'enfermement courant dans ma génération. En tout cas les messages sans cesse répétés, par la famille, les médias, sur les dangers courus par les femmes dans l'espace public, cela n'a rien de nouveau.

Les auteurs désignés, ensuite : malgré toutes les précautions de la réalisatrice (« ce n'est pas une question d'origine ethnique mais sociale » déclare-t-elle par exemple), la Capitale peut titrer (avec un plaisir qu'on devine tellement cela rentre dans les stéréotypes) : «  Femmes insultées dans les rues de Bruxelles : dans 95% des cas ce serait par des Maghrébins » (admirons au passage le conditionnel). Après la projection du film, Sofie Peeters précise bien que si elle a eu affaire à des « allochtones » c'est parce qu'ils constituent l'écrasante majorité des habitants de son quartier. Elle raconte avoir vécu le même genre d'expériences à Mexico, dont les habitants sont de bons machos chrétiens. Malheureusement, ces précisions ne transparaissent pas dans le film. Ce qui permet d'oublier que le harcèlement en rue est de tout temps et de tout lieu. Si on peut parler d'une "culture", c'est alors de la "culture machiste", largement répandue... (1).

 

« S'adapter ou partir » ?

Troisième bémol, une analyse qui semble imputer ces comportements à une « frustration sexuelle » liée à une culture où la sexualité est encore taboue. Il faut donc répéter que ce harcèlement n'est pas lié à la sexualité, mais à un rapport de pouvoir. La preuve en est que, selon les hommes interrogés eux-mêmes, s'il s'agit de s'offrir une aventure vite fait, « ça ne marche pas ». Or, des êtres rationnels abandonnent des tactiques qui « ne marchent pas ». Mais voilà : le véritable but, ce n'est pas de passer un bon moment avec une jolie fille, mais de lui faire comprendre qu'on a le pouvoir de contrôler sa vie. Car si on peut douter que les auteurs de ces comportements soient à « 95% maghrébins », il est certains qu'ils sont à 100% masculins, et qu'il est question là d'une construction de la masculinité comme pouvoir sur les femmes, surtout quand on est en groupe. Et à voir le résultat – la culpabilité, la peur et la fuite des femmes – là, « ça marche très bien ».

Et voilà le quatrième et sans doute le plus important reproche au film : le message implicite qu'il fait passer aux jeunes femmes et que la RTBF résume par la formule : « Elles n'ont qu'un choix : adapter leur façon de vivre ou partir ».

Au cours de la discussion qui a suivi la projection du film, Ingrid de Hollaback! comme Irene Zeiliger de Garance on t au contraire voulu multiplier les autres pistes qui s'offrent aux femmes : cours de self defense verbale et physique, reprise collective de la rue... oin à la fois de la résignation mais aussi de la simple répression prônée par les politiques. Exemple, cette « amende pour les insulteurs » instaurée par la Ville de Bruxelles : passons sur la difficulté de prouver les faits (« dis mon grand, tu veux bien répéter à M'sieur l'agent comment tu m'as insultée... ? »), on peut penser que l'effet pédagogique d'une telle mesure est assez nul. A Malines, il existe un projet de policières « piège » pour verbaliser les insultes. Super. On peut parier qu'elles patrouilleront davantage dans les quartiers défavorisés et/ou immigrés que dans les quartiers chics, ce qui pourra à son tour renforcer les statistiques... et les idées reçues.

Hélas, les filles n'apprennent que trop que « la rue est dangereuse pour les femmes » et tout – leur famille, les médias, la justice quand elles sont victimes d'une agression sexuelle – leur rappelle qu'elles doivent restreindre leur liberté de mouvement. Alors, si le documentaire de Sofie Peeters et sa médiatisation permettent de mettre au jour un phénomène que d'aucuns ne veulent pas voir, tant mieux ; mais il faudra bien l'encadrer à chaque projection pour qu'il ne pas utilisé pour enfermer les femmes ni pour dédouaner, une fois de plus, notre propre société de son machisme bien vivace.


(1) Que l'on songe par exemple, dans un autre genre, au cas Dominique Strauss-Kahn ou en Belgique Pol Van den Driessche, ou encore aux sifflets "admiratifs" (selon les siffleurs) qui ont accueilli la ministre Cécile Duflot à l'Assemblée Nationale française, parce qu'elle portait une robe légère en répondant à une question parlementaire...

Mis à jour (Jeudi, 02 Août 2012 22:46)

 

Cachez cette misère que l'on ne saurait voir...

A l'approche des élections communales, ça ne rate pas, il faut rendre la commune belle, propre et rieuse, débarrassée de ses immondices, ses trous dans les trottoirs, ses crottes de chiens, ses tags et autres déchets, y compris humains. Bref, de tout ce qui ne vote pas, ou si peu.

A bannir donc, les dépôts clandestins, les putes en vadrouille (pas les clients, espèce protégée quelle que soit la marchandise), les SDF et leurs cartons, les mendiants et leurs compagnons à quatre pattes. Hors des centres ville, loin des rues commerçantes, à l'abri des regards.

A Liège, le bourgmestre (socialiste) a décidé d'imposer aux mendiants des lieux et des horaires en dehors desquels ils risquent une arrestation administrative jusqu'à 12 heures : ils ne sont relâchés qu'après la fermeture des commerces (1). De son côté, la commune d'Etterbeek (majorité MR-PS-Ecolo) a voté sa propre innovation sociale : le nombre de mendiants par rue sera désormais limité à quatre (2). Idée déjà assez rigolote quand on compare l'interminable chaussée de Wavre et la minuscule rue de l'Egalité (si, si, ça existe, heureusement elle est discrète). Mais en fait, ne sont visés que les quartiers commerçants : une pièce par ci une pièce par là, multipliez par cinq, et voilà le candidat client pigeonné, plus assez de sous pour s'offrir un nouveau smartphone !

Bonne chance aux stewards (venant eux-mêmes de milieux plutôt précaires) qui auront la noble tâche de compter les mendiants et de tomber sans pitié sur le râble du cinquième - à moins qu'il soit particulièrement gentil, car comme l'exprime le bourgmestre De Wolf, les mendiants polis sont « les bienvenus chez nous » (pas dans le sens on va les aider, non, faut pas pousser : on va juste les laisser crever en paix sur leur bout de trottoir).

 

Mis à jour (Samedi, 30 Juin 2012 10:23)

 

Belge au mérite : rebelote !

En août 2010, on parlait déjà d'un durcissement de l'accès à la nationalité belge (tiens, toujours Mme Galant, et toujours pendant les vacances !) J'avais alors écrit ce texte que je reprends tel quel, même si certaines réactions d'alors ont bien molli (celles de socalistes, notamment)

Résumé des épisodes précédents, pour les distraits, les vacanciers et tous les malheureux étrangers habitant hors de nos frontières : dans une interview au journal le Soir (1), la députée libérale Jacqueline Galant plaide pour le durcissement des conditions d'accès à la nationalité belge, qui devrait être plus difficile à obtenir et plus facile à perdre. En un mot : pour Mme Galant, être belge ça "se mérite". tous les jours.

Les réactions indignées n'ont pas tardé, et la presse peut parler de "tollé" ou de "levée de boucliers" contre ces déclarations. La socialiste Karine Lalieux ou l'Ecolo Eric Jadot, tous deux membres de la Commission de naturalisation de la Chambre, dénoncent des propos populistes. Mais ces réactions elles-mêmes m'ont laissée rêveuse...

En effet, que répondent-elles ? Que Mme Galant médit, que la nationalité belge n'est nullement "bradée" mais déjà aujourd'hui, difficile à obtenir. Comme l'écrit Eric Jadot (2) : "Que l’on ne s’y méprenne pas : la nationalité belge se mérite déjà et elle est assujettie à une procédure lourde et difficile pour le demandeur. Laisser croire le contraire, c’est discréditer le travail parlementaire, celui de l’administration, du parquet et de la sûreté de l’Etat". Et d'avancer des chiffres pour 2010 : sur 11440 dossiers examinés, 3958 ont été acceptés, 3507 ajournés et 3975 rejetés. On n'est pas là pour rigoler, la preuve !

Ce qui me suggère quelques remarques.

Tout d'abord, il y a quelque chose de cocasse, sinon de pathétique, à mettre sur un piédestal une nationalité qui est en train de s'évaporer. Est-ce que dans dix ans, dans cinq ans peut-être, être "belge" aura encore la moindre signification ? On est peut-être là, dans ce débat, en train de se livrer sur d'innocentes mouches à une activité que la morale chrétienne réprouve sévèrement.

Ensuite, il y a cette idée de "mérite" qui m'a toujours plongée dans les affres de la perplexité. Le "mérite" est une notion assez vague, plutôt arbitraire, qui dépend de celui qui juge et des critères qu'il a décidé de retenir. Ainsi, dans le milieu du travail, plus la notion de mérite individuel intervient dans la rémunération (par rapport à d'autres critères pus objectivables comme la formation, l'ancienneté...), plus les écarts de salaire entre hommes et femmes sont importants : dans le privé plus que dans le public, dans les postes à responsabilité plus qu'au bas de l'échelle... Ce qui a évidemment davantage à voir avec des présupposés sexistes sur les qualités valorisées qu'avec un "mérite" idéal et incontestable.

Mais plus fondamentale encore que cet arbitraire, il y a la question même du mérite en matière de nationalité. Pour Mme Galant, une personne qui roulerait sans assurance ou aurait commis un vol à l'étalage (c'est elle qui cite ces exemples) "mériterait" de rester turque ou albanaise, mais pas belge. Curieuse hiérarchie des valeurs.

Et si l'on creuse plus loin encore, on arrive à ce paradoxe : le "mérite" serait acquis pour certains, mais héréditaire pour d'autres. Or il est évident que la chance ou le hasard qui font naître certains sur le sol belge, de parents tout aussi veinards, ne peut être assimilé à un quelconque effort personnel (3). Pourtant, les Belges "de souche" ne doivent ni prouver qu'ils connaissent l'une des langues nationales, ni qu'ils ont compris toutes les subtilités de la pensée de Bart De Wever, ni jurer qu'ils acceptent la dépénalisation de l'avortement ou le mariage des homosexuels...  Ils peuvent voler, tuer, maltraiter femme et enfants, éluder l'impôt, sans jamais cesser d'être belges. Drôle de "mérite".

Imaginons que, pour avoir le droit d'exercer la médecine - et risquer de perdre ce droit en cas de faute professionnelle grave - les uns doivent bosser dur, réussir des études difficiles, tandis que d'autres, par le seul fait d'être nés de parents médecins, obtiennent automatiquement leur diplôme à vie. Absurde, n'est-ce pas ? La nationalité belge par le mérite, c'est un peu la même chose.

Il y a tout de même, dans les propositions de Mme Galant, une idée intéressante : la possibilité de perdre sa nationalité en cas de méconduite, durant une "période de probation". Bien entendu, selon le principe que "tous les citoyens sont égaux devant la loi", cette possibilité devrait être étendue à tous.

Reprenons les propos de Mme Galant : "Lorsqu’on veut devenir belge, il faut être respectueux de toutes les règles en application chez nous.  (...) À partir du moment où on ne respecte pas les règles élémentaires d’un pays, je pense que l’on n’a pas droit à la nationalité".

On peut penser que ces "règles élémentaires" comprennent un minimum de comportement solidaire, comme le fait de payer ses impôts ou d'offrir à l'ensemble de ses concitoyens la possibilité de se loger décemment, pour un prix proportionnel à leurs revenus. Si ceux qui ne respecteraient pas ces "règles" étaient déchus de leur nationalité belge, quelques gloires nationales devraient aller se faire glorifier ailleurs : un Simenon deviendrait ainsi écrivain « suisse », Tom Boonen ou Justine Henin seraient de grands champions « monégasques »...

Plus drôle encore : Mme Galant elle-même, bourgmestre de Jurbise, refuse d'appliquer une de ces "règles" de chez nous, à savoir le plan de la Région wallonne prévoyant un minimum de 5% de logements sociaux dans chaque commune (3). Pas de manants chez elle, a-t-elle décrété. Mérite-t-elle dès lors de rester belge ? La question « mérite » d'être posée.

 

 

 

(1) http://archives.lesoir.be/naturalisations-galant-mr-plus-fort-que-sarkozy_t-20100804-010FLF.html

 

(2) http://web4.ecolo.be/?Quand-le-debat-vire-a-la

(3) L'absurdité ou l"injustice sont bien exprimées dans des chansons comme "Né quelque part" de Maxime Le Forestier ou "Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part" de Brassens.

(4) http://www.rtbf.be/info/belgique/social/jurbise-commune-sans-logement-social-et-fiere-de-letre-62850

Mis à jour (Lundi, 23 Juillet 2012 20:42)

 

L'intégration pour les Nuls

Les Belges de souche parlent aux Belges de souk*....                                                                                        (valable aussi pour les (non)Belges  des caravanes, des déserts, des bidonvilles, ...)

 Chers candidats belges, de séjour sinon de nationalité, car être belge ça se mérite tous les jours.... (1)

Bienvenue dans notre beau pays de cocagne qui, nous vous le disons tout de go, n'a guère les moyens de vous accueillir toutes et tous, ayant déjà dû ouvrir largement ses portes et son portefeuille à des nécessiteux en rade nommés Dexia, Fortis et autres KBC...

Néanmoins, pour les plus obstinés d'entre vous, voici une brève présentation des us et coutumes de ce lieu où vous aimeriez poser vos (maigres) bagages, des fois que vous n'auriez pas préparé votre voyage en apprenant par coeur le Guide du Routard, comme nous-mêmes avons l'habitude de le faire avant de boucler notre sac à dos.

 

Mis à jour (Vendredi, 08 Juin 2012 12:17)

 
Plus d'articles...