Ecole Da Vinci : des médias sans retenue

Imaginons. Une dépêche tombe dans les rédactions : bagarre devant le lycée Jean-Gol à Uccle, un jeune homme tabassé pour avoir, dit-il, soutenu la reconnaissance immédiate de l'Etat palestinien. Choqué et blessé à la tête, il explique que le prof d'histoire a abordé la question du Moyen-Orient d'une façon qui a déplu à certains élèves, qui ont lancé une pétition pour exiger sa démission, manipulés, dit-on, par le professeur de religion juive. Le jeune homme est le seul de sa classe, avec un autre camarade, à avoir refusé de signer. Un des gros bras de la classe l'attendait à la sortie avec des copains et des battes de base-ball. Le résultat est spectaculaire.

Malaise dans les rédactions. Certains proposent de lancer immédiatement le titre : « Uccle : tabassé pour son soutien à la Palestine ». D'autres préfèrent : « Uccle : le prof de religion juive a-t-il manipulé ses élèves ? » C'est qu'il faut être le premier sur la balle (ou la batte), pouvoir annoncer en ligne une info « exclusive » et demain, attirer l'oeil chez les libraires avec un titre "trash", bien mieux que ceux qui vont bêtement titrer sur la dette grecque !


On a dérapé, mais quand même... 

Pure fiction ? En effet. D'abord parce que cette histoire n'a (heureusement) pas eu lieu. Mais aussi parce que je suis prête à parier que les journalistes, du moins ceux de la presse dite « de qualité » (je ne parle pas de ZutUnFaux) tourneraient sept fois leur souris dans leur ordi avant de balancer l'information sans autre vérification. Parce que les juifs « ne sont pas comme ça » (bien qu'une organisation comme la Ligue de Défense Juive soit classée dans certains pays comme organisation terroriste). Qu'on ne se fait pas tabasser pour avoir soutenu la Palestine. Que la violence est dans « l'autre camp ». Et donc, comme un tel fait ne rentre pas dans les grilles de lecture (ou plus basiquement, les croyances) des journalistes, ils prendraient le temps de vérifier, recouper les informations, et la précaution de mettre des conditionnels là où le doute subsiste et où les versions se contredisent, avant de balancer l'info. Bref, ils feraient leur boulot.

Or justement, cela n'a pas été le cas dans ce qui s'est passé à l'école Da Vinci la semaine dernière.


Mis à jour (Vendredi, 06 Février 2015 13:14)

 

Ras les couilles !

 

« Charlie bande encore ! » Tel était l'un des dessins supposés rendre hommage aux dessinateurs assassinés le 7 janvier dernier, une façon de dire « Ils sont vivants ! » Hommage qu'on retrouvait jusque sur la page des Copines de Causette, magazine qui se targait autrefois de quelques ambitions féministes. Associer « bandaison » et « vitalité » n'est rien de plus qu'un de ces symptômes d'une domination masculine qui préfère s'ignorer : le « masculin universel » .

Quelques jours plus tard, un autre dessin montrait un Saint-Pierre embarrassé par ces nouveaux venus, qui avaient déjà « dessiné des bites » partout dans son paradis. Rires dans la salle. Personnellement, moi je trouve ça juste potache, et du genre de potaches qui harcèlent les filles en cour de récré.

Un peu plus tard Philippe Geluck, le créateur du Chat, exprime quelques réticences quant à la couverture du nouveau Charlie. Philippe Geluck est aussi, ne l'oublions pas, auteur du livre « Peut-on rire de tout ? », où sa réponse est très clairement : oui, on peut. Mais là, il estime cette couverture « dangereuse », en expliquant : « La liberté d’expression qui est totale chez nous ne doit pas, pour autant, nier une certaine responsabilité ». Il se dit « certain (...) que tous les dessinateurs, survivants et disparus, n’ont aucune intention de blesser les musulmans sincères et démocratiques ». Néanmoins, « ils le font et je pense qu’il y a une vraie réflexion à faire ».

Patatras ! Dans les Inrocks, le journaliste-flingueur Christophe Conte lui consacre son « billet dur » où il lui reproche, en gros, un manque de courage, autrement dit d'être aussi castré que son Chat. Plus loin il le traite de « bandemou du fusain ». La dessinatrice Coco illustre l'article par un félin qui se caractériserait pas « un gros pif, une tête de con, pas de couilles ». Ce n'est pas parce que c'est une femme qui le dit que c'est moins macho : un Chat sans couilles ne peut être que lâche.

Qu'on partage les réticences de Geluck ou au contraire, l'indignation de Conte, une chose me paraît certaine : les couilles n'ont rien à faire là-dedans.

Et voilà qu'en ce 30 janvier, invité à la RTBF, le directeur du festival Ramdam à Tournai s'indigne de la suspension de son festival sous prétexte que certains films programmés étaient trop « sensibles » et auraient demandé une protection trop coûteuse. Céder à la menace, dit-il, n'est pas très glorieux – et jusque là, je le suivais tout à fait. Ce serait, ajoute-t-il cependant, « s'émasculer ». Et hop, vous y revoilà : le courage, c'est dans les couilles, comme toute la force de Samson était dans ses cheveux !

Lorsqu'en 1989, l'ayatollah Khomeini prononçait une fatwa réclamant, récompense à la clé, l'exécution de Salman Rushdie pour son livre « Les versets sataniques », j'étais déléguée syndicale à la Fnac. La question de la vente du livre s'est sérieusement posée, certains (dans le personnel comme la direction) craignant que la sécurité des employé/e/s et des client/e/s soit mise en danger. Car à l'époque non plus ça ne rigolait pas : plusieurs traducteurs de Rushdie ont été tués et des libraries attaquées. Après bien des discussions, nous avons finalement décidé de ne pas céder à la menace. Eh bien, je peux vous assurer que malgré cette prise de risque, ni moi ni mes camarades n'avons vu soudain pousser des couilles – ni grossir pour ceux qui en étaient déjà pourvus.

Alors non, je n'accepte pas que ce ne soit qu'une « façon de parler », sans aucun rapport avec les testicules, comme je l'entends dire autour de moi. La langue sert aussi à structurer une pensée. Pas plus qu'on ne peut dire « pingre comme un Juif » ou « paresseux comme un Arabe » sans contribuer à développer le racisme, on ne peut brandir les couilles à tout bout de champ sans favoriser le sexisme et l'homophobie.

La comparaison est d'ailleurs d'autant plus ridicule que s'il y a bien une chose qu'on ne peut pas reprocher aux assassins de Charlie et du Super Cacher, c'est de « manquer de couilles ». Ni au sens propre ni au sens figuré. Ils ont choisi de mourir pour leurs idées, fussent-elles très perverses, ce qui reste quand même l'un des sommets de ce type de « courage  couillu » tellement apprécié par le virilisme triomphant.

Ah oui, une dernière chose : si davantage d'hommes pensaient avec leur tête et sentaient avec leur coeur et leurs tripes plutôt qu'avec leurs couilles, le monde serait sans doute différent. Et sûrement moins belliqueux.


PS : Et à ce sujet, écouter le billet de Nicole Ferroni, qui permet de changer de perspective, avec les "Ovaires du courage".

Mis à jour (Vendredi, 30 Janvier 2015 11:16)

 

Bienvenue en 2015, Année du Mouton

Un saut dans l'eau glacée : il n'y a rien de mieux, paraît-il, pour se remettre des excès d'un réveillon trop arrosé. Certains n'hésitent pas à se précipiter en maillot dans la Mer du Nord, je vous propose de plonger, sans bouée de sauvetage, dans l'actualité glaciale de ce début 2015.

En Belgique, on le sait, des dizaines de milliers de chômeur/se/s vont perdre leurs allocations dès le 1er janvier, puis d'autres dans les mois et les années à venir. Les médias, qui n'avaient pas de mots assez durs pour fustiger manifestant/e/s et grévistes syndicaux en lutte contre des mesures mortifères, s'inquiètent soudain des « drames sociaux » à venir et se demandent si finalement, cette politique « TINA » (« There Is No Alternative ») est bien raisonnable. Oui, même la Libre, le Soir, même RTL, se demandent si les « sacrifices » imposés à la population sont vraiment équilibrés. Faut dire que la presse « mainstream », tout comme les autorités européennes, ont le feu aux fesses (si vous me permettez l'expression) en observant la montée de Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne. La montée de l'extrême-droite un peu partout en Europe, y compris dans des pays en bonne santé économique, semble moins les inquiéter, comme on peut le constater dans le compte-rendu des angoisses de la Banque Centrale européenne.

Faisons un petit tour au-delà d enos frontières. «Un bébé sans-abri meurt d'un arrêt cardiaque à Lille » : on l'imagine sans peine, cette actualité dramatique fait la Une de la presse française. Ben, à vrai dire... non. Parce que le bébé qui a perdu la vie dans les bras de sa mère, qui mendiait dans le hall où la température atteignait à peine les 5°, c'était une petite fille rom. Et on se demande ce qui est plus révoltant : qu'une pettie fille de trois mois soit morte dans ces conditions ou qu'on puisse lire, sans s'étrangler, l'expression « bébé sans abri ».

Allez, lorgnons plutôt du côté de la Suède, ce pays sinon exemplaire, du moins plus avancé en matière d'égalité, d'accueil des demandeurs d'asile et de cordon sanitaire, qui a réussi à éviter une grave crise politique provoquée par l'extrême-droite car oui, là-bas aussi la peste se répand. Un péril bien réel quand on lit ceci : « Suède : une troisième mosquée attaquée en huit jours ». Hélas, l'islamophobie ne perd pas le Nord.

2014 a été l'année de tous les records : l'année la plus chaude enregistrée en Belgique, l'année la plus meurtrière en Syrie, et on ne vous parle même pas des succès des Diables Rouges ou de David Goffin en tennis. ... En fait si, on vous en parle, peut-être même un peu trop. On ne sait pas si leurs brillants parcours se poursuivront cette année, mais pour ce qui est de la Syrie et du climat, on peut raisonnablement s'attendre à d'autres records.

Quoi de mieux qu'un peu de culture pour se remettre de nos frayeurs ? Dans le monde francophone, l'un des « événements » de ce début d'année sera la sortie de « Soumission », un roman qui imagine la France sous le règne de la charia en 2022. Non, ce n'est ni du Zemmour, ni du Destexhe, c'est du Houllebecq. L'histoire, telle que résumée par le Point, qui s'enthousiasme, bien sûr : « Au printemps 2022, François Hollande achève son second mandat. Bien qu'il l'ait gagné cinq ans plus tôt contre Marine Le Pen, il est déconsidéré, honni, détesté, et ne parvient pas à empêcher la montée en puissance de la Fraternité musulmane, qui, sous la férule du charismatique, intelligent et cultivé Mohamed Ben Abbès, rallie de plus en plus de suffrages. Le second tour de la présidentielle oppose ce nouveau venu à la candidate du FN. Les partis traditionnels de gouvernement (UMP, PS, UDI) se rallient à ce "visage présentable de l'islam". Et le tour est joué... Les femmes sont interdites d'emplois publics, permettant ainsi l'embauche de centaines de milliers d'hommes et une baisse spectaculaire du chômage, elles ne peuvent plus porter la robe ou la jupe dans les lieux publics, les professeurs de faculté doivent se convertir au terme d'un processus qui ne prend que quelques heures. (...) Pour l'auteur, notre société avachie dans le confort émollient de la démocratie et biberonné à un État providence qui pourvoit à tout glissera presque naturellement vers cette charia douce ».

Alors là, les gars, c'est totalement invraisemblable : imaginer un seul instant une réélection de François Hollande en 2017 relève du degré zéro d'analyse politique. Mais on peut imaginer sans peine, mais non sans crainte, le succès d'un tel bouquin...

Voilà, bienvenue en 2015 ! Dans le calendrier chinois, c'est l'année du Mouton. Sans vouloir froisser les amis des animaux (ni des Chinois), j'ose tout de même nous souhaiter de refuser toute ressemblance avec ce sympathique quadrupède, fournisseur de nos pulls et de nos méchouis, mais guère réputé pour sa combativité. Dans le monde de 2015, il nous faudra être Tout Autre Chose, Hart boven Hard, en tout cas !

Mis à jour (Vendredi, 02 Janvier 2015 11:10)

 

Etre ou ne pas être (Charlie)

"Je suis Charlie", proclament les uns. "Je ne suis pas Charlie", protestent quelques autres... Comment, en partageant la même indignation, la même colère, tenter de rendre aux mots, aux expressions, un vrai sens, alors même que la façon dont on se les balance à la figure ne sert qu'à obscurcir les enjeux ? Pardon par avance si je parais péremptoire, donneuse de leçons : il y a vraiment des termes que je ne supporte plus d'entendre, et cela ne va pas s'arranger dans les jours et les semaines à venir.

Avant de me lancer, quelques précisions s'imposent.

D'emblée, je l'avoue, je ne lisais plus Charlie Hebdo depuis longtemps (contrairement à des millions de gens, apparemment). Parfois, chez le libraire ou au détour d'une publication, je tombais sur un dessin que je trouvais drôle, voire même subversif ; mais le plus souvent, j'étais rebutée pas un ton qui frôlait (et parfois dépassait) les frontières du machisme ou de l'islamophobie. Ce qui, évidemment, ne justifie en aucune manière l'abominable (en même temps que minable) tuerie du 7 janvier. On ne répond pas à des expressions qui déplaisent ni par un bâillon ni, encore moins, par des balles.

Deuxième précision : il ne s'agit d'aucune manière de « relativiser » sous quelque forme que ce soit l'attaque ignoble dont Charlie a été victime, d' « excuser » ou de « comprendre » en quoi que ce soit les assaillants, d'oublier les morts, les blessés, les traumatisés à vie, leurs proches. Certains des dessinateurs assassinés, dont Cabu, ont été les compagnons lointains de ma jeunesse et de ses révoltes. Ce qui me fait réagir, c'est l'énorme, l'incommensurable hypocrisie non pas de tous ces gens qui, individuellement, expriment leur indignation face à ces assassinats, mais d'un système qui en profite pour se regarder dans le miroir en s'exclamant : « Comme je suis libre ! Comme je suis beau ! »

Mis à jour (Vendredi, 09 Janvier 2015 17:51)

 

Faut-il interdire Zemmour ?

Ecrivain, journaliste, chroniqueur dans plusieurs médias, dynamiteur de tabous : voilà comment est présenté Eric Zemmour par ceux qui l'ont invité à parler en Belgique, en janvier prochain, devant des salles probablement pleines.

Sexiste, raciste, homophobe et en plus menteur, balançant des chiffres fantaisistes (mais pas innocents) : voilà comment il apparaît lorsqu'on prend la peine de lire ses écrits ou l'écouter lors de débats. La « peine » est le terme juste, aussi bien dans le sens de « pénibilité » que de « tristesse» : ce type est insupportable de suffisance, d'arrogance et de bêtise. Et pourtant, on ne cesse de l'inviter.

Une conseillère communale Ecolo, Zoubida Jellab, a demandé au bourgmestre de Bruxelles d'interdire sa venue, ce qu'Yvan Mayeur a refusé.

Faut-il interdire à Zemmour de répandre son venin en Belgique ?

Mis à jour (Mercredi, 24 Décembre 2014 17:33)

 
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