"Cancel culture" contre "culture du viol"

Un spectre hante les réseaux sociaux : une femme couchée, les yeux fermés, tandis qu'un homme déguisé en prince s'apprête à déposer un baiser sur ses lèvres (avec ou sans la langue, ce n'est pas précisé).

On ne sait si la femme dort, si elle est dans le coma ou morte. Cette dernière hypothèse rendrait la scène franchement glauque. Dans les deux autres cas, de sommeil ou de coma, il s'agirait «seulement» d'un baiser sans consentement. Ce qui représente, de fait, dans la vraie vie, une agression sexuelle.

Deux journalistes américaines en ont fait la remarque dans un article, concernant une nouvelle attraction de Disneyland basée sur l'histoire de Blanche-Neige. Elles s'étonnent qu'à la fin du parcours de l'attraction, l'entreprise ait ajouté une scène intitulée «Le vrai baiser d'amour», soulignant qu'un vrai baiser d'amour peut difficilement être échangé quand l'une des deux personnes n'est pas en état de donner son accord. Et c'est tout. Les deux autrices n'appellent pas au boycott, ni à la destruction de l'attraction, ni à la fermeture du parc : elles osent une critique.

Cela ne vaudrait pas la peine d'en parler si, sur les réseaux sociaux, tant de gens n'étaient montés sur les grands chevaux de la « cancel culture», et pas seulement les réacs patenté·es (en tout cas pas tentés par la nuance).

Les médias se sont à leur tour emparés de la polémique, en la reprenant dès le début.

Je n'y reviendrai donc pas. Juste quelques remarques.

 

Il serait une fois...

D'abord, pour celles et ceux qui hurlent au détournement de notre patrimoine («patrimoine» est bien le mot : un héritage venu des pères pendant que les mères préparaient à manger), qu'on se souvienne que les contes viennent de la tradition orale et que ceux (au masculin) qui les ont figés dans des textes y ont mis leurs propres choix idéologiques. J'ai ainsi appris en passant que les frères Grimm, dans leur recueil de contes, avaient inclus un certain «Le Juif dans les épines» où celui-ci est (évidemment) escroc et voleur. Le plus drôle étant que dans la version orale d'origine, le personnage n'était pas juif mais... moine. Comme quoi les contes sont adaptables aux préjugés et convictions de chacun (toujours au masculin dans ce cas).

Ensuite, pour les obsédé·es de la «cancel culture» qui menacerait la liberté d'expression (et surtout la leur) dès qu'un groupe minorisé ose une critique, on peut rappeler que cette critique relève aussi de la liberté d'expression (celle des autres). Titiou Lecoq l'explique brillamment dans sa chronique.

Enfin, au-delà même de la question du consentement, il y a l'image donnée de manière systématique par les contes d'une passivité féminine, celle de la princesse qui attend qu'un preux chevalier vienne la sauver. S'il semblera à certain·es excessif de parler d'une «culture du viol», on peut évoquer une «culture de la passivité»... qui participe, justement, de cette culture du viol. La femme attend, disponible, offerte.

Que dire alors de ce dessin de Coco, que ceux qui dénoncent la «cancel culture» brandissent comme une réponse pertinente à l'article des deux journalistes américaines ? Ce dessin (que je ne reproduirai pas ici, tellement je le trouve le déplacé ), faisant dire à un prince limite ridicule dans sa timidité (ou son respect): «Je... je... je peux t'embrassser?» et lui faisant répondre à elle : «Quel coincé... J'ai couché avec 7 nains, je te rappelle!» Message implicite : s'il y en a pour sept il y en a pour huit, pourquoi tu te gênerais ? Et au nom de quoi je pourrais refuser ?

Enfin, pour celles et ceux qui diraient que, plutôt que de s'acharner sur un imaginaire qu'on juge problématique, il est plus positif d'en construire un autre, je signalerai que c'est ce qui se fait : comme dans ce projet des Grenades (RTBF) consistant à réécrire les contes de notre enfance: «Il serait une fois».

Mis à jour (Mardi, 11 Mai 2021 10:49)

 

"Te plains pas, c'est pas l'usine"

C'est un petit livre que toustes celles et ceux qui travaillent dans une association devraient lire. Car on y retrouve des questions que toute personne impliquée dans ce secteur est amenée à se poser tôt ou tard : pourquoi tant de précarité? Pourquoi tant de burn out? La professionnalisation de projets militants au départ n'a-t-elle pas perdu en « âme » et en cohérence ce qu'elle a gagné en efficacité?

Pour commencer, les autrices rappellent que les associations ne sont pas, ou pas seulement, des « collectifs » créés à partir de la base, dans une volonté d'auto-organisation qui se serait simplement professionnalisée au fil du temps. Pour beaucoup, il s'agit de compenser un désengagement de l'Etat, et plus largement des pouvoirs publics, pour une série de missions aussi indispensables que peu valorisantes : prise en charge des pauvres, des enfants en décrochage scolaire, des femmes battues, des victimes de discriminations... Il s'agit de réparer autant que possible la casse sociale. Ou au moins mettre des rustines.

En échange de cette prise en charge, les pouvoirs publics financent les associations, par des subventions mais aussi, et de plus en plus, par des «appels à projets», «appels d'offres», qui ne sont pas sans conséquences sur la situation des salarié·es de ces structures: augmentation exponentielle des tâches administratives (mes camarades qui ont rempli des montagnes de formulaires et des océans de rapports savent de quoi je parle), précarité des emplois, concurrence entre associations avec pression sur les coûts (et les salaires)... Avec un double bénéfice pour l'Etat: d'une part de sérieuses économies, les travailleur/ses de l'associatif étant moins « chers » que des fonctionnaires, et d'autre part, une forme de «pacification sociale», dans le sens d'une «canalisation des luttes».

 

Exploitation associative

Le chapitre consacré à l' «exploitation associative» est particulièrement parlant. Les exemples de contrats précaires sont spécifiques à la France, mais on peut aisément transposer au contexte belge: qu'on songe aux «Articles 60» qui permettent à des «bénéficiaires» des CPAS de vivre une expérience professionnelle durant 12 ou 18 mois, le plus souvent sans autre perspective que de retrouver... un droit au chômage. De leur côté, beaucoup d'associations ne pourraient pas fonctionner sans ces «emplois aidés», étant donné leur sous-financement, surtout pour ce qui est des subventions pérennes.

D'autres dérives sont spécifiques au secteur: l'appel au «dévouement» qui pousse parfois à ne pas compter ses heures (et surtout ne pas les faire payer), le recours parfois abusif au bénévolat, le déni des rapports de hiérarchie et de pouvoir, puisque tout le monde est censé se trouver dans le même bateau et devoir se serrer les coudes pour l'empêcher de chavirer.

Les autrices sont particulièrement sévères avec les directions et les membres du CA, soupçonné·es d'appartenir à un autre monde que les salarié·es, qui sont souvent issu·es des milieux avec lequels ils/elles travaillent, sans que cette proximité ne soit reconnue (ni surtout rémunérée) comme une forme de compétence. Les directions se feraient, avec trop de complaisance, le relais de cette idéologie de « dévouement » et tireraient de leur position des avantages économiques mais surtout symboliques, de l'ordre du prestige ou encore de la construction d'un réseau de relations, qui peuvent se révéler bien utiles pour une carrière future. Quant au CA, dont les membres ne sont pas rémunérés, «sa composition sociale n'est pas neutre : pour s'engager dans ce genre de structure sans être ayé, il faut avoir du temps et être familier de ce qu'impliquent des fonctions d'encadrement».

 

Et les bonnes pratiques ?

Certes, on peut reprocher aux autrices d'avoir construit un dossier uniquement à charge, la seule option proposée étant la solidarité entre travailleur/ses précaires et bénéficiaires, souvent plus précaires encore, contre des directions forcément complices de l'Etat. On aurait aimé trouver des exemples de bonnes pratiques (car il y en a), de contrats précaires transformés en postes fixes, de CA attentifs aux besoins des salarié·es (qu'on peut intégrer au CA pour éviter le risque de distance avec les réalités quotidiennes), de stratégies de contournement créatif des consignes officielles au bénéfice de toustes, et pas seulement de « l'association » comme concept abstrait.

Tel quel, cependant, l'ouvrage relève des pièges qu'on oublie parfois, dans le feu de l'action, même avec la meilleure volonté du monde. La conscience de ce qu'on vit, ou de ce qu'on fait vivre à d'autres, est déjà un pas pour sortir du cercle vicieux précarité-dévouement.

 

Lily Zalzett et Stella Fihn : Te plains pas, c'est pas l'usine. L'exploitation en milieu associatif. Niet ! Editions

Mis à jour (Mardi, 20 Avril 2021 09:24)

 

Vaccin obligatoire ?

2020 fut incontestablement une “année en V” : V comme “Virus”.
Ma boule de cristal m’informe que 2021 le sera tout autant : V comme “Vaccin”.
Pour éviter toute polémique inutile, je précise d’emblée que je n’ai rien d’une “anti-vax” : je suis persuadée que les vaccins sauvent chaque année des millions de vies et que ceux qui arrivent, même si on n’en connaît pas encore complètement le rapport risques/bénéfices, représentent un espoir et non une menace.

Du moins si on met de côté le scandaleux secret autour de leur coût et cette haïssable logique marchande qui permet d’être fourni en premier à condition d’y mettre le prix, comme c’est le cas pour Israël, où “selon la presse locale, les doses auraient été achetées 43 % au-dessus du prix du marché afin d’être servi en priorité et à profusion” (1).

On avait mal compris
Ailleurs, pour le moment, on parle surtout d’une pénurie de doses, une incapacité de répondre à la demande et des débats quant aux catégories de la population à vacciner en priorité. Ce qui n’empêche pas, paradoxalement, d’évoquer ici et là, comme en passant, une éventuelle “obligation” du vaccin, soit générale, soit limitée à certaines professions (comme de soin), certaines activités (comme les voyages), certains services (comme l’accès aux grands festivals de musique).
En France, le projet de loi instituant un “régime pérenne de gestion des urgences sanitaires”, déposé sur la table du conseil des ministres lundi 21 décembre, a aussitôt soulevé de vives réactions (2).

En cause, le point 6 de l’article L. 3131-9 qui vise à réformer le code de la santé publique prévoyant que, en période d’urgence sanitaire, le premier ministre pourrait, par décret, “subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités, à la présentation des résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif“.

On avait mal compris : le gouvernement a rapidement rétropédalé, affirmant qu’il ne s’agissait nullement de gérer de manière autoritaire la situation actuelle, mais de se préparer à faire face à une éventuelle pandémie encore plus grave, dont l’OMS nous prédit l’inévitable venue (3), histoire le remonter le moral des troupes.
Le 28 décembre, les médias se faisaient l’écho d’une déclaration du ministre espagnol de la Santé Salvador Illa (4) dans une interview à la chaîne de télévision La Sexta : il y était question d’un registre des personnes refusant de se faire vacciner, registre qui ne serait pas public mais pourrait être partagé avec d’autres pays européens.
Mais là encore, on avait mal compris : il s’agirait juste de récolter des données anonymisées à des fins purement scientifiques, histoire d’étudier les motivations des “ani-vax”.

Exclure les “mauvais·es citoyen·es”
D’autres autorités ont moins de pudeurs. Un article paru sur le site de la RTBF donne quelques détails sur des pistes envisagées ici ou là, pour la création d’un “passeport vaccinal” qui, sans imposer clairement une obligation, exclurait de fait les “mauvais·es citoyen·nes” d’une partie plus ou moins importante de leurs droits.

Quelques exemples en discussion (5).
En Australie, selon le secrétaire à la Santé Greg Hunt, le pays envisage de prendre en compte l’état de vaccination ou non des voyageurs pour leur permettre d’entrer sur son territoire.
En Suisse, la question de l’obligation d’être vacciné pour assister à des concerts ou des évènements sportifs est en débat.
En Grande-Bretagne, Nadhim Zahawi, le nouveau ministre de la santé nommé pour superviser le déploiement du vaccin, déclarait à la BBC : “Nous examinons la technologie […] et, bien sûr, un moyen pour les gens de pouvoir informer leur médecin traitant qu’ils ont été vaccinés. Mais, aussi, je pense que vous constaterez probablement que les restaurants, les bars, les cinémas et autres lieux, les salles de sport, utiliseront aussi ce système – comme ils l’ont fait avec l’application (test and trace)”.

Ces déclarations sont souvent contredites par d’autres responsables officiels, mais le sujet est clairement sur la table. Et En Russie, c’est officiel : le gouvernement prévoit d’émettre dès janvier des passeports spéciaux pour les citoyens ayant été vaccinés contre le coronavirus. De tels passeports pourront être utilisés notamment pour prouver à un employeur ou aux services officiels étrangers que l’on est immunisé contre le Covid-19.

Et en Belgique ?
Chez nous, à chaque occasion, les ministres affirment et répètent que le vaccin sera gratuit et non obligatoire, tandis qu’inlassablement, les journalistes comme les auditeurs/trices d’émissions interactives reposent la question.
Le Comité Consultatif de Bioéthique, lui, a adressé cependant quelques recommandations aux autorités (6), dont le fait de lancer une réflexion anticipée sur un possible recours à une vaccination semi-obligatoire (limitée à certains groupes cibles), voire totalement obligatoire.

On peut en effet y lire : “L’immunité collective est un bien commun. La solidarité impose un devoir de protection à l’égard des plus fragiles, écrivent les experts du Comité de Bioéthique, et dans ce cas, l’obligation vaccinale sera éthiquement acceptable, compte tenu du danger que représente la Covid-19 pour certains groupes de population“.
La question mérite en effet d’être posée : il y a d’un côté la santé publique – et plus encore si l’on constate au fil du temps que le vaccin empêche ou freine fortement le risque de transmission – , mais de l’autre la liberté individuelle, peut-être encore plus sensible pour une féministe que le slogan “Mon corps, mon choix” a accompagné tout au long de ses combats.

On peut me faire remarquer que d’autres vaccins sont déjà obligatoires, que ce soit pour tou·tes (polio), exigés dans certaines collectivités (rougeole..), dans certains métiers (hépatite B), pour certains voyages (fièvre jaune)… Mais outre que ces vaccins-là ont fait leurs preuves et que, en dehors des « anti vax » radicaux, ils posent moins d’interrogations à de larges pans de la population, c’est la façon d’aborder le sujet qui me met mal à l’aise.
Plutôt que d’aborder la question de face, il me semble que, tout en affirmant “mais non mais non, pas d’obligation”, on lance des cailloux dans l’eau pour voir s’ils font des vagues, et si ça ne déborde pas on essaie des cailloux plus gros, jusqu’à ce que…

On peut en effet continuer à affirmer que le vaccin ne sera pas obligatoire, mais quel est le sens de cette non obligation s’il est exigé pour voyager, avoir accès à des salles de spectacle, des commerces? Bien sûr, on me dira que c’est inimaginable, qu’en pleine période de vaches maigres les commerçants ne se priveront pas d’une clientèle en exigeant un certificat de vaccination. Mais l’idée s’incruste insidieusement.

Certain·es partisan·es de la vaccination suggèrent qu’ils/elles ne fréquenteront pas des lieux où l’on risque de croiser des personnes non vaccinées. Et plus sérieusement encore, l’idée de restrictions à l’accès à certains emplois fait son chemin.
Au bout du compte, on se dira qu’avec de telles conditions, autant rendre le vaccin obligatoire. Ce serait tout aussi autoritaire mais moins hypocrite.
Nous y voilà, CQFFD : ce qu’il fallait faire désirer?

Irène Kaufer


(1) L’Express, 4 janvier 2021

(2) Voir par exemple “Rendre obligatoire la vaccination de façon insidieuse serait une stratégie risquée”, Le Monde, 30 décembre 2020

(3) AFP, 29 décembre 2020

(4) Belga, 28 décembre 2020

(5) Tous les exemples cités sont repris de l’article: “Passeport sanitaire” ou registres des personnes refusant la vaccination : l’épineuse question du respect de la vie privée”, RTBF, 29 décembre 2020

  1. RTBF, 21 décembre 2020

Mis à jour (Vendredi, 05 Février 2021 17:43)

 

Nous n'irons plus au bois...

 

 

« Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières,

se moquent de l'autorité et n'ont aucun respect pour l'âge.

A notre époque, les enfants sont des tyrans. »

 

Ce n'est pas tous les jours que les médias internationaux s'intéressent à notre petite Belgique, quand il ne s'agit ni de la traque d'un tueur en série, ni d'un record de vie politique suspendue faute de gouvernement, ni d'un match de foot meurtrier... juste d'un micro-événement qui nous a valu, pourtant, de larges échos.

D'Arte à CNN, en passant par le Guardian ou le New York Times, ils ont été nombreux à s'intéresser à la désormais fameuse « Boum » du 1er avril au Bois de la Cambre. Non pas pour le rassemblement lui-même, comme il y en a désormais un peu partout, que ce soit sous forme d'une protestation organisée ou d'un simple défoulement ; non, ce qui a interpellé ces médias, c'est la brutalité de l'intervention policière. « On dirait la cavalerie qui part à la guerre », écrit quelqu'un sur la page Facebook du New York Times.

Pendant ce temps, chez nous, l'image choquante d'une jeune femme percutée par un cheval de la police est présentée au JT de la RTBF d'un simple "sur les réseaux sociaux, certaines images comme celles-ci provoquent l'émoi"... au milieu d'un sujet de près de 10 minutes consacré aux affrontements au Bois de la Cambre. Ce qu'on peut vraiment appeler un "service minimum".

Violences policières...

On peut certes critiquer une initiative qui ne fut au départ qu'un poisson d'avril, dont le succès indique quand même un niveau d'exaspération d'une partie de la population, avec la contribution involontaire d'une météo estivale. On peut détester la violence de certains, dont on ne peut ignorer qu'ils étaient venus avec l'espoir d'en « découdre », y compris contre de malheureux chevaux qui n'ont jamais eu de vocation répressive dans leur plan de carrière... On peut aussi, du haut de son expérience de vie, promettre à ces jeunes qui crient « liberté, liberté ! » en dénonçant une « dictature », un billet gratuit dès la réouverture des frontières pour des vacances en Birmanie, pour prendre un exemple au hasard. On peut enfin s'indigner aux côtés de soignant·es, même s'il n'existe aucune preuve de contaminations massives après des rassemblements en plein air (qu'on se rappelle, chez nous, les mises en garde alarmantes après la manif antiraciste du 7 juin, et après... rien.) Ce que confirme d'ailleurs Yves Coppieters, qu'on ne peut accuser de Covid-déni : « Il y a eu plusieurs rassemblements tout au long de la crise : on n'a jamais fait de suivi des manifestants pour savoir s'il y avait des contaminations en plus, mais on n'a jamais eu de signes épidémiologiques dans les jours qui ont suivi. »

Mais on peut aussi s'étonner, à l'inverse, de l'acceptation de ces brutalités, y compris de la part de gens qui n'ont eu de cesse, ces derniers mois, de dénoncer les violences policières, dont parfois ils/elles ou leurs proches ont été victimes lors de manifestations non autorisées... Comme l'écrit avec colère Claude Semal dans le webmagazine l'Asymptomatique "Plus grave, à mes yeux, des milliers de gentils démocrates ont applaudi à leur fenêtre numérique, sur le mode « bien fait pour eux », « ils n’avaient qu’à pas». Avant de s’en prendre au corps, le virus s’en prend visiblement parfois au cerveau.”


... Problème de bourges

Le dernier argument pour justifier cette attitude contradictoire, c'est que les fauteurs de troubles du Bois de la Cambre seraient des "bourgeois". Passons sur l'analyse sociologique express des participant·es à la fausse "Boum", et sur l'idée tout de même un peu surprenante que les violences policières seraient tout à fait acceptables, si elles ne visent pas les plus pauvres et/ou les personnes racisées. Pour autant qu'on sache, les mobilisations de jeunes pour le climat ne rassemblaient pas majoritairement des précaires en décrochage scolaire, sans s'attirer pour autant des reproches d'illégitimité.

Mais voilà encore un motif d'étonnement : il y a un an, le discours progressiste pointait le fait que les mesures de confinement (y compris l'enseignement à distance, les restrictions de déplacement et de contacts sociaux...) étaient plus difficiles à vivre dans un petit appartement que dans une maison quatre façades avec jardin; aujourd'hui on peut lire que "Le demi-confinement, pour toute une série de personnes, ne change pas grand-chose à cause de leur précarité socio-économique. Ne pas aller au restaurant ou ne pas partir en vacances, ne pas aller se faire les ongles ou se faire masser, pour une série de personnes, c’est le cas depuis toujours !" Ces mots (interview dans la Dernière Heure du 3 avril) sont de Céline Nieuwenhuis, de la Fédération des Services Sociaux, qui a joué le rôle d'"alibi social" dans une série de groupes d'expert·es conseillant le gouvernement, et qui a dénoncé à maintes reprises l'absence de prise en compte des besoins des classes populaires dans les mesures prises par les autorités.

 A quoi on pourrait répondre ceci : il ne s'agit pas simplement de la fermeture des restos et des salons de massage, il s'agit de restrictions de la vie sociale, et celle-là est sans doute encore plus précieuse dans les quartiers populaires et précarisés, pour sa dimension de solidarité et d'entraide. On a pu lire des témoignages de femmes seules avec enfants, expliquant combien les limitations sévères des contacts autorisés leur compliquaient la vie de tous les jours. Quant aux restrictions de voyage, ce n'est pas seulement l'interdiction de partir au ski, mais aussi cette journée à la mer dont on veut priver celles et ceux qui n'ont pas de résidence secondaire, ni les moyens de louer un appartement pour une semaine... On peut ajouter que l'Horeca ne se réduit pas à des restos de luxe ou les salons de thé, mais qu'il y a aussi des cafés populaires qui sont parfois le seul plaisir de personnes à petit revenu. Alors prétendre que les restrictions actuelles sont des problèmes de "bourges", ça me semble totalement à côté de la plaque.

On peut rappeler aussi que les restrictions concernent également des activités parfaitement gratuites : "Les parcs sont les jardins de ceux qui n'en ont pas", comme dit le bourgmestre Close quand il se souvient qu'il n'est pas seulement le chef la police. Et même en dehors des parcs, il y a la rue, où les rassemblements sont tout autant interdits, avec la même incohérence qui ne fait que semer la confusion et attiser la colère (en quelques jours, on est passé de la bulle extérieure de quatre à celle de dix puis retour à celle de quatre...)


Méchant virus ou coup de matraque

Alors non, je n'irai pas au bois à la prochaine annonce de « boum », d'une part parce que ce n'est plus de mon âge, et d'autre part par prudence, ne sachant ce qu'il faut craindre le plus entre le méchant virus et le coup de matraque ou de sabot. Si j'avais des petits-enfants, je leur déconseillerais de se rendre à ce type de rassemblement, à supposer que mon avis les intéresse, ce qui est peu probable.

Il me semble qu'il y a aussi un vrai risque de récupération du ras-le-bol par des « complotistes » de tout poil et/ou l'extrême-droite. Cela fait un an que Bernard de Vos, Délégué aux Droits de l'Enfant, crie dans le désert pour que les jeunes soient associé·es aux mesures qui les concernent et que leur mal-être soit pris en compte autrement qu'en les renvoyant individuellement chez les psys... Mais rien n'a été fait, et il est trop facile de traiter d' « irresponsables » celles et ceux à qui, justement, on a dénié toute possibilité de prendre des responsabilités.

 


PS : Pour en revenir à la citation du début, de qui est-elle ? Alexander De Croo ? Frank Vandenbroucke ? Erika Vlieghe ?

Non, Socrate, Ve siècle avant Jésus-Christ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mis à jour (Lundi, 05 Avril 2021 18:55)

 

Ce n'est pas un obstacle, c'est un inconvénient

 
Anne Sylvestre s'en est allée rejoindre les "sorcières comme les autres", j'ai eu envie de partager avec vous un souveir personnel.
 
C'était à Pourchères, en juin 2016. Je m'étais inscrite à un stage d'écriture animé par Anne Sylvestre, précédant un festival de chanson, les Chansonnades.
Pourchères, c'est un village en Ardèche, sans un café, une boulangerie, un quelconque lieu où s'isoler des autres, sauf la campagne. Si on ne dort pas ensemble, toutes les autres activités se font en commun, depuis le petit déjeuner jusqu'au repas du soir, en passant par la sieste et, bien sûr, les ateliers.

Anne n'était pas dupe : comme elle l'a dit plus tard à une amie commune, elle savait que je n'étais pas venue là pour « travailler mon écriture » mais pour passer du temps avec elle, elle que j'admirais tant tout en la craignant quand même un peu. Elle avait une réputation de "râleuse" (ce qui n'est pas fait pour me déplaire); elle s'est montrée de fait très exigeante, autant qu'encourageante, et aussi d'une grande patience avec les débutant·es.
J'étais la « Belge » de service (et « belge », ça ne rime avec rien), celle qui ne respectait jamais l'ensemble des consignes, qui s'imposait des contraintes supplémentaires et qui a eu la chance infinie d'interpréter un de ses textes sur scène avec Anne, en ouverture du festival. Anne a aussi écrit pour l'occasion une chanson en l'honneur ces Chansonnades, que l'ensemble des participant·es ont eu le bonheur d'interpréter avec elle.

Mon texte s'appelait « Ce n'est pas un obstacle, c'est un inconvénient », thème qu'elle avait lancé parmi d'autres, d'apparence plus abordable. J'en avais fait une « lettre de motivation » pour être acceptée au stage, lui faisant la liste de toutes mes imperfections mais prête à tout pour me rendre utile («faire le ménage, vous gratter le dos, chasser les mouches... ») Et elle, à chaque fois que j'énumérais l'une de mes incompétences, lâchait « ce n'est pas un obstacle, c'est un inconvénient ».
Me trouver sur une scène à ses côtés restera le plus beau moment de ma brève carrière artistique.

Lors du festival lui-même, deux artistes ayant dû déclarer forfait pour cause de maladie, leur concert a été remplacé au pied levé par une celui, improvisé, de Francesca Solleville et Anne Sylvestre, avec Nathalie Fortin au piano (et à la course après les feuilles qui s'envolaient dans ce décor magique). J'en ai vu des spectacles d'Anne surtout ces dernières années; celui-là fut le plus fou et le plus émouvant.

Ces souvenirs reviennent en force en ce jour où elle est allée rejoindre toutes les sorcières. Pour parler d'elle, son absence n'est peut-être pas un obstacle, mais c'est à coup sûr un inconvénient.

On peut retrouver un (mauvais) enregsitrement ici (à partir de 1min30) : https://soundcloud.com/ireneka-785283039/lettre-de-motivation-avec-as-publicwav

Mis à jour (Mercredi, 02 Décembre 2020 10:36)

 
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