Jan Fabre : quand le tort tue (ou pas)

 

 

 

 

Bertrand Cantat, Roman Polanski, Jan Fabre... A chaque nouvelle affaire de violence ou de harcèlement sexuel, la question resurgit : faut-il, peut-on, séparer l'homme de l'artiste, et l'artiste de l'oeuvre ? Et la question qui en découle : que faire des oeuvres d'un artiste condamné ? (je l'écris au masculin car de fait, jusqu'ici, cette question ne concerne que des hommes).

Pour ce qui est de Jan Fabre, condamné le 29 avril à 18 mois de prison avec sursis suite à la plainte d'uen douzaine de (ex)danseuses de sa troupe, les réactions des autorités, culturelles ou politiques, sont diverses. A Anvers, Gand, Namur, Nieuport, ses sculptures restent en place ; le Musée des Beaux-Arts de Bruxelles, lui, a décidé de ne plus éclairer ses oeuvres durant les 18 mois correspondant à sa condamnation. De leur côté, des féministes ont organisé une action-choc à Namur, avec un slogan à lire sur leurs fesses (une manière efficace d'attirer l'attention des médias, pas forcément pour le slogan).

 

Une culture appauvrie ?

D'un côté, les partisan·es d'une stricte séparation entre l'homme et l'oeuvre imaginent la pauvreté d'un monde culturel expurgé de tous ses racistes, sexistes, agresseurs, condamnés ou non... La littérature sans Céline, la musique sans Wagner, la peinture sans Gauguin, la philosophie sans Heidegger... et ce ne sont que quelques exemples, parmi les plus flagrants. En face, d'autres demandent qu'on imagine ce que doivent ressentir les victimes devant la glorification de l'oeuvre de l'auteur de violences qu'elles ont subies (de sa part ou d'un autre dans le même contexte).

Il me semble que c'est une vraie question que les invectives réciproques n'aident pas à éclairer.

En fait, il existe des situations très diverses, selon que l'auteur soit mort ou vivant, qu'il reconnaisse ou non sa responsabilité (ce qui est si important pour les victimes), qu'il soit lui-même ou non fêté, bénéficiaire d'éloges et/ou de subsides.

En ce qui me concerne (mais je ne prétends pas avoir la bonne réponse), je n'ai pas de problème à apprécier des oeuvres d'artistes disparus, quoi qu'ils aient pu commettre en tant qu'humains : ils ne sont plus là pour en profiter. Pour les vivants, j'estime qu'une fois leur peine accomplie, ils ont le droit de reprendre leur activité (comme ce serait le cas de n'importe quel employé ou artisan), comme nous avons le droit de les boycotter. Je fais cependant une différence entre ceux qui assument la responsabilité de leurs actes et ceux qui rejettent toute faute en se posant eux-mêmes en victimes. De même, voir un tableau, écouter une chanson, lire un livre, n'est pas la même chose qu'aller applaudir un artiste sur scène, lui décerner un prix ou en faire un représentant culturel officiel.


Ou une re-création ?

Il reste une autre possibilité, sans doute pas réaliste mais qui aurait ma préférence : relecture, détournement, re-création. Par exemple, renommer les oeuvres. Pour la Citadelle de Namur, on pourrait imaginer, à la napoléonienne : "Du haut de cette tortue, un agresseur sexuel vous contemple" ou encore, plus poétique et militant à la fois : "Tandis que les femmes volent vers la liberté, les hommes n'avancent qu'à dos de tortue". Quant à "L'homme qui mesure les nuages" du Musée d'Art Contemporain de Gand, il pourrait être rebaptisé "L'homme qui prend enfin la mesure de sa responsabilité".

Faites vos jeux, l'imagination au pouvoir !

Mis à jour (Lundi, 02 Mai 2022 11:46)