Nous n'irons plus au bois...

 

 

« Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières,

se moquent de l'autorité et n'ont aucun respect pour l'âge.

A notre époque, les enfants sont des tyrans. »

 

Ce n'est pas tous les jours que les médias internationaux s'intéressent à notre petite Belgique, quand il ne s'agit ni de la traque d'un tueur en série, ni d'un record de vie politique suspendue faute de gouvernement, ni d'un match de foot meurtrier... juste d'un micro-événement qui nous a valu, pourtant, de larges échos.

D'Arte à CNN, en passant par le Guardian ou le New York Times, ils ont été nombreux à s'intéresser à la désormais fameuse « Boum » du 1er avril au Bois de la Cambre. Non pas pour le rassemblement lui-même, comme il y en a désormais un peu partout, que ce soit sous forme d'une protestation organisée ou d'un simple défoulement ; non, ce qui a interpellé ces médias, c'est la brutalité de l'intervention policière. « On dirait la cavalerie qui part à la guerre », écrit quelqu'un sur la page Facebook du New York Times.

Pendant ce temps, chez nous, l'image choquante d'une jeune femme percutée par un cheval de la police est présentée au JT de la RTBF d'un simple "sur les réseaux sociaux, certaines images comme celles-ci provoquent l'émoi"... au milieu d'un sujet de près de 10 minutes consacré aux affrontements au Bois de la Cambre. Ce qu'on peut vraiment appeler un "service minimum".

Violences policières...

On peut certes critiquer une initiative qui ne fut au départ qu'un poisson d'avril, dont le succès indique quand même un niveau d'exaspération d'une partie de la population, avec la contribution involontaire d'une météo estivale. On peut détester la violence de certains, dont on ne peut ignorer qu'ils étaient venus avec l'espoir d'en « découdre », y compris contre de malheureux chevaux qui n'ont jamais eu de vocation répressive dans leur plan de carrière... On peut aussi, du haut de son expérience de vie, promettre à ces jeunes qui crient « liberté, liberté ! » en dénonçant une « dictature », un billet gratuit dès la réouverture des frontières pour des vacances en Birmanie, pour prendre un exemple au hasard. On peut enfin s'indigner aux côtés de soignant·es, même s'il n'existe aucune preuve de contaminations massives après des rassemblements en plein air (qu'on se rappelle, chez nous, les mises en garde alarmantes après la manif antiraciste du 7 juin, et après... rien.) Ce que confirme d'ailleurs Yves Coppieters, qu'on ne peut accuser de Covid-déni : « Il y a eu plusieurs rassemblements tout au long de la crise : on n'a jamais fait de suivi des manifestants pour savoir s'il y avait des contaminations en plus, mais on n'a jamais eu de signes épidémiologiques dans les jours qui ont suivi. »

Mais on peut aussi s'étonner, à l'inverse, de l'acceptation de ces brutalités, y compris de la part de gens qui n'ont eu de cesse, ces derniers mois, de dénoncer les violences policières, dont parfois ils/elles ou leurs proches ont été victimes lors de manifestations non autorisées... Comme l'écrit avec colère Claude Semal dans le webmagazine l'Asymptomatique "Plus grave, à mes yeux, des milliers de gentils démocrates ont applaudi à leur fenêtre numérique, sur le mode « bien fait pour eux », « ils n’avaient qu’à pas». Avant de s’en prendre au corps, le virus s’en prend visiblement parfois au cerveau.”


... Problème de bourges

Le dernier argument pour justifier cette attitude contradictoire, c'est que les fauteurs de troubles du Bois de la Cambre seraient des "bourgeois". Passons sur l'analyse sociologique express des participant·es à la fausse "Boum", et sur l'idée tout de même un peu surprenante que les violences policières seraient tout à fait acceptables, si elles ne visent pas les plus pauvres et/ou les personnes racisées. Pour autant qu'on sache, les mobilisations de jeunes pour le climat ne rassemblaient pas majoritairement des précaires en décrochage scolaire, sans s'attirer pour autant des reproches d'illégitimité.

Mais voilà encore un motif d'étonnement : il y a un an, le discours progressiste pointait le fait que les mesures de confinement (y compris l'enseignement à distance, les restrictions de déplacement et de contacts sociaux...) étaient plus difficiles à vivre dans un petit appartement que dans une maison quatre façades avec jardin; aujourd'hui on peut lire que "Le demi-confinement, pour toute une série de personnes, ne change pas grand-chose à cause de leur précarité socio-économique. Ne pas aller au restaurant ou ne pas partir en vacances, ne pas aller se faire les ongles ou se faire masser, pour une série de personnes, c’est le cas depuis toujours !" Ces mots (interview dans la Dernière Heure du 3 avril) sont de Céline Nieuwenhuis, de la Fédération des Services Sociaux, qui a joué le rôle d'"alibi social" dans une série de groupes d'expert·es conseillant le gouvernement, et qui a dénoncé à maintes reprises l'absence de prise en compte des besoins des classes populaires dans les mesures prises par les autorités.

 A quoi on pourrait répondre ceci : il ne s'agit pas simplement de la fermeture des restos et des salons de massage, il s'agit de restrictions de la vie sociale, et celle-là est sans doute encore plus précieuse dans les quartiers populaires et précarisés, pour sa dimension de solidarité et d'entraide. On a pu lire des témoignages de femmes seules avec enfants, expliquant combien les limitations sévères des contacts autorisés leur compliquaient la vie de tous les jours. Quant aux restrictions de voyage, ce n'est pas seulement l'interdiction de partir au ski, mais aussi cette journée à la mer dont on veut priver celles et ceux qui n'ont pas de résidence secondaire, ni les moyens de louer un appartement pour une semaine... On peut ajouter que l'Horeca ne se réduit pas à des restos de luxe ou les salons de thé, mais qu'il y a aussi des cafés populaires qui sont parfois le seul plaisir de personnes à petit revenu. Alors prétendre que les restrictions actuelles sont des problèmes de "bourges", ça me semble totalement à côté de la plaque.

On peut rappeler aussi que les restrictions concernent également des activités parfaitement gratuites : "Les parcs sont les jardins de ceux qui n'en ont pas", comme dit le bourgmestre Close quand il se souvient qu'il n'est pas seulement le chef la police. Et même en dehors des parcs, il y a la rue, où les rassemblements sont tout autant interdits, avec la même incohérence qui ne fait que semer la confusion et attiser la colère (en quelques jours, on est passé de la bulle extérieure de quatre à celle de dix puis retour à celle de quatre...)


Méchant virus ou coup de matraque

Alors non, je n'irai pas au bois à la prochaine annonce de « boum », d'une part parce que ce n'est plus de mon âge, et d'autre part par prudence, ne sachant ce qu'il faut craindre le plus entre le méchant virus et le coup de matraque ou de sabot. Si j'avais des petits-enfants, je leur déconseillerais de se rendre à ce type de rassemblement, à supposer que mon avis les intéresse, ce qui est peu probable.

Il me semble qu'il y a aussi un vrai risque de récupération du ras-le-bol par des « complotistes » de tout poil et/ou l'extrême-droite. Cela fait un an que Bernard de Vos, Délégué aux Droits de l'Enfant, crie dans le désert pour que les jeunes soient associé·es aux mesures qui les concernent et que leur mal-être soit pris en compte autrement qu'en les renvoyant individuellement chez les psys... Mais rien n'a été fait, et il est trop facile de traiter d' « irresponsables » celles et ceux à qui, justement, on a dénié toute possibilité de prendre des responsabilités.

 


PS : Pour en revenir à la citation du début, de qui est-elle ? Alexander De Croo ? Frank Vandenbroucke ? Erika Vlieghe ?

Non, Socrate, Ve siècle avant Jésus-Christ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mis à jour (Lundi, 05 Avril 2021 18:55)