L'une doute, l'autre pas
Préambule :
Ceci n'est pas un compte-rendu, même subjectif, de la conférence de Christiane Taubira à Flagey. J'en profite juste pour développer quelques idées personnelles. Je me rends bien compte que pour beaucoup, son discours à elle est bien plus intéressant que mes réactions à moi, mais pour cela il faudra voir ailleurs (elle a donné plusieurs interviews, au Soir, à Entrez sans frapper...)
Ce 22 février, je suis allée écouter Christiane Taubira, pour sa conférence inaugurale du colloque « la religion dans la cité », avec comme thème central « le corps des femmes ». Une salle pleine et enthousiaste, un accueil de star, à la fin des gens debout et des applaudissements comme si on espérait un rappel.
Christiane Taubira est une femme impressionnante, courageuse, une oratrice hors pair, capable de parler durant près d'une heure pratiquement sans notes, citant de mémoire des poètes, en ouverture et en clôture de son intervention. Elle a aussi démontré brillamment qu'introduire le féminin à l'oral n' « alourdit » nullement le discours, mais permet au contraire d'éclaircir la pensée : ainsi, quand elle dit que la « Révolution française a introduit l'idée d'égalité pour tous », elle ajoute non sans malice que « pour tous » signifie bien « pour tous » et pas « pour toutes », les femmes en étant exclues.
Après les roses, vient le pot... La première remarque est d'ordre général : pour parler de la « Religion dans la cité », le choix des organisatrices* s'est porté sur la mise en exergue de la critique des religions. Le comble étant la rencontre sur « le corps qui aime, le corps qui jouit » qui prétend expliquer le regard des religions sur la sexualité en donnant la parole à trois femmes très éloignées de toute pratique religieuse, ce qui me paraît pour le moins biaisé. J'ajoute aussitôt que parler de « religion » implique bien sûr de laisser une place à la « critique de la religion », mais le programme me semble laisser une place très limitée à la défense.
Le choix de Christiane Taubira, dans ce cadre-là et comme tête d'affiche, pose également question, malgré tout le respect que je lui porte. L'écouter n'a pas dissipé mes interrogations. Sa thèse centrale étant que les trois religions du Livre, qui s'affrontent si durement sur certains sujets, sont au moins d'accord sur un point : la volonté de contrôler le corps des femmes. Et il n'est pas difficile de démontrer - et démonter - cette obsession de « pureté », qui limite la liberté des femmes, que ce soit dans leur façon de s'habiller, leur sexualité, et plus généralement la possibilité de choisir leur vie. Christiane Taubira a élargi le sujet, convoquant poètes, philosophes, militant·es qui se sont mobilisé·es autour de cette notion de « liberté », qui m'a semblé d'ailleurs le sujet central de son intervention, plus que les religion ou le corps des femmes. Et bien sûr c'était intéressant en soi.
Ma frustration vient de ce qu'elle n'a pas dit : comment les religions (celles du Livre comme les autres) ne sont qu'une des formes du patriarcat, qui peut être tout aussi pesant dans d'autres cultures - demandez donc aux femmes indiennes ou japonaises si elles ont l'impression que leur corps n'est pas strcitement contrôlé... ; mais aussi dans des domaines tout à fait sécularisés, comme le monde médical bien de chez nous - voir la levée toute récente du silence sur les violences gynécologiques et obstétricales subies par tant de femmes, juste au nom de la « science », sans qu'il y ait besoin de nulle référence à une quelconque divinité.
Ce qui m'a manqué aussi, c'est une ouverture vers celles qui réfléchissent et se battent au sein même d'un contexte religieux. Il me paraît de plus en plus évident, à mesure que j'apprends à connaître d'autres approches féministes que la mienne, que l'émancipation des femmes croyantes ne viendra pas de discours extérieurs, mais de l'intérieur même des religions, d'une relecture, d'une réinterprétation des textes et des pratiques sur laquelle moi, athée, je n'ai rien à dire, sauf : allez-y, je suis à vos côtés !
Et je le pense d'autant plus fort que juste après la conférence de ChristianeTaubira, j'ai passé une soirée multiculturelle, drôle, subversive, avec des féministes d'origines et de convictions très diversifiées, et que je me suis dit que c'était tellement plus enrichissant qu'un discours trop formaté, que cela permettait tellement mieux de faire sauter les idées reçues sur ces femmes « soumises » ou incapables de comprendre tout choix de vie différent du leur... La liberté, qui reste pour moi une interrogation, un doute, un bousculement, c'est là que j'ai eu l'impression de la rencontrer.
* je le mets au féminin puisque cette rencontre ne réunit que des oratrices – ce qui change des discours sur la religion, généralement portés uniquement par des hommes sans que cela semble poser question