"Pas tous les hommes" vs "Partout des hommes"

En ce 31 décembre 2017, les autorités de Berlin ont décidé de mettre en place une "safe zone" pour les festivités au pied de la porte de Brandebourg. Cette zone de sécurité, gérée par la Croix-Rouge, sera destinée aux femmes harcelées, agressées ou se sentant en insécurité.

Deux ans après le fameux réveillon devant la gare de Cologne, où des centaines de femmes ont témoigné avoir subi vols et agressions à caractère sexuel (1), et au bout d'une année où les femmes ont (re)pris la parole (et où beaucoup d'hommes ont enfin débouché leurs oreilles), des incidents seraient particulièrement malvenus.

L'initiative soulève des polémiques, plus ou moins bienveillantes. Pourquoi une « safe zone » est-elle nécessaire ? N'est-ce pas une façon de désigner les autres lieux comme des « zones de danger », voire d'invitation pour les agresseurs ? C'est bien triste, ma bonne dame, en 2017, d'en arriver là. Et je suis bien d'accord : c'est bien triste.

Un certain Julien Bahloul réagit sur Twitter : « En 1973 quelqu'un a suggéré à la Première ministre israélienne Golda Meir d'imposer un couvre-feu aux femmes pour les protéger des viols. Elle a répondu qu'il serait plus logique d'imposer un couvre-feu aux hommes plutôt qu'à leurs victimes. Une autre vision du combat féministe ».

Merci, cher Julien, pour votre réaction. S'il faut suivre votre raisonnement, la "bonne vision" du combat féministe (dont Golda Meir, c'est bien connu, était une éminente représentante) exigerait, non pas une « safe zone » pour les femmes, mais une interdiction de sortir au-delà de 22h pour les hommes ? Si ça vous tente vraiment, on peut essayer...


Cher camarade...

Sérieusement : oui, en être là en 2017, c'est bien triste. Mais à qui la faute ? Toi le camarade bien intentionné, qui te sens presque insulté à l'idée que des femmes ressentent le besoin de se protéger de toi, toi qui répètes sur tous les tons « Pas tous les hommes ! » (en pensant très fort : en tout cas pas moi !), je te pose la question : comment vais-je te reconnaître, parmi ces agresseurs potentiels, toi qui n'auras jamais un geste déplacé, qui ne raconteras pas de blagues dénigrantes et qui ne riras pas à celles de tes potes, toi qui interviendras, ne serait-ce qu'en appelant à l'aide – pas besoin de jouer les héros – si une de mes copines se fait agresser ? Parce que, vois-tu, si « pas tous les hommes », en effet, c'est « partout des hommes », et toutes sortes d'hommes. Les incidents de Cologne ont été une belle aubaine pour les racistes – mais aussi pour ceux qui, au nom de l'antiracisme, refusaient d'écouter la parole des femmes. Mais cela arrive partout, sous toutes les latitudes et dans toutes les circonstances. Il y a des agresseurs blonds, des violeurs diplômés, des harceleurs qui occupent de hautes responsabilités dans la société ; il y a même des amis, des familiers, des « ex », qu'on accepte de rencontrer, qu'on fait même entrer chez soi – on se sent donc, malgré soi, quelque peu responsdable, sinon coupable- , et qui ont une tout autre idée derrière la tête que de partager un verre ou un débat sur l'avenir de la gauche.

Alors oui, cher camarade, c'est bien triste d'en arriver là, en 2017, de vivre sur le qui-vive, d'avoir besoin de ces « safe zones » parce que le monde est tout sauf « safe », mais demande-toi ce que toi, tu peux y faire, car c'est bien toi, c'est bien vous qui pouvez rendre ce monde plus sûr. Nous on y bosse depuis des siècles.


(1) Pour éviter tout nouveau débat à ce sujet, voir ce que j'avais écrit à l'époque pour le site de Garance

Texte écrit pour le Réveillon 2017 mais qui risque de garder toute sa pertinence, hélas, en 2018 et encore bien au-delà

Mis à jour (Lundi, 01 Janvier 2018 19:11)