Inclure, dirent-elles

Moche, élitiste, inutile... Les adversaires de l'écriture inclusive ne manquent pas d'arguments pour flinguer, avec une passion qui me paraît souvent excessive, cette tentative - parmi d'autres – de sortir du « masculin universel ».

L'écriture inclusive, cela fait longtemps que je la pratique. Ce fut d'abord la parenthèse, puis le tiret, le slash, le point, maintenant c'est le « point milieu », hélas encore compliqué sur la plupart des claviers (Alt+0183), mais ça va changer. C'est venu petit à petit, mais sans difficultés majeures : il suffit d'y penser, d'être attentive, et si parfois on oublie, parce que les automatismes ont la vie dure, eh bien ce n'est pas grave.

C'est ainsi que j'écris mes articles, mes textes pour mon blog, désormais aussi mes projets (1). Cela ne s'applique ni à mes fictions, ni à mes chansons, qui représentent d'autres défis à relever.

 

« Péril mortel »

Pour autant, je ne suis pas montée aux barricades pour l'imposer et je n'ai pas non plus lâché mes autres combats pour en faire ma priorité absolue.

Mais voilà que les barricades se dressent dans le camp d'en face : pas touche à mon français !  Crime de lèse-langue ! « Péril mortel ! », pour reprendre les termes de l'Académie française, toujours à la pointe du progrès (ou du ridicule, au choix). Et quand même des féministes s'y mettent, le temps est venu pour moi de ne plus me contenter d'appliquer l'écriture inclusive, mais aussi de prendre la défense de cette remise en question du machisme de la langue française (que j'aime tant par ailleurs, y compris ses complications ou même ses incohérences).

Je passerai vite sur la dénonciation d'un débat qui n'aurait pas lieu d'être... mais qu'on contribue à alimenter. C'est un peu comme le mariage des personnes de même sexe : si le sujet a pris une telle ampleur dans le débat public en France, c'est bien à cause de l'opposition rabique de la Manif pour Tous, alors qu'en Belgique, on a simplement débattu d'un changement législatif parmi d'autres. De même, l'écriture inclusive ne prend une telle importance que parce que ses adversaires y voient la fin d'une civilisation.

Je sauterai aussi l'argument d'une problématique qui n'intéresserait que les universitaires : outre qu' « universitaire » n'est pas une insulte, je répondrai que la langue qu'on parle, qu'on entend dès l'école, a bien sûr une influence sur notre vision du monde, notre façon de penser, même si c'est tout à fait inconscient. C'est bien pour cela que la féminisation des noms de métiers et des fonctions constitue une évolution importante, et c'est bien pour cela qu'elle rencontre encore tant de résistance, surtout pour des postes de prestige (l' « ambassadrice » est encore souvent considérée comme « la femme de l'ambassadeur », tandis qu'on admet très bien que la « boulangère » fasse et vende du pain elle-même ; sans compter tous ces débats autour de « Madame l'échevin » ou « Madame LE ministre »...) Dans les cours d'alphabétisation auxquels je collabore, je n'utilise évidemment pas l'écriture inclusive (tout comme j'évite certaines complications dont le français est friand), mais je prends bien soin d'insister sur les implications de ce masculin qui prétend l'emporter sur le féminin ou, argument récent, jouer au « neutre ». J'ajouterai enfin que l'écriture inclusive n'empêche personne de mener d'autres combats mais que par contre, l'argument des « priorités » devrait tout de même être manié avec prudence, en particulier par des féministes à qui on a si souvent reproché de mener des luttes sur un « front secondaire », au nom, justement de la « priorité » d'autres luttes, qui allaient come par enchantement mettre fin aux inégalités entre femes et hommes...

A celles et ceux qui trouvent l'écriture inclusive « inesthétique », je répondrai que moi, ce qui m'écorche les yeux, c'est de lire des passages sur les « parents qui élèvent seuLS leurs enfants » ou « les travailleuRS en temps partiel », alors que cela efface plus de 80% des personnes concernées, qui sont des femmes. Que je ne vois pas en quoi le « point milieu » serait plus « moche » que le tiret, dont le français fait un grand usage (depuis les mots composés jusqu'à des expressions comme « mais pourqui ne veulent-ils aps comprendre ? », même au masculin universel. Et que dire de « quatre-vingt-dix-huit »!)

Enfin, la tentative de ridiculiser l'écriture inclusive en « réécrivant » des oeuvres du passé tombe complètement à côté de la plaque, puisque personne ne le propose et que, comme je l'ai écrit plus haut, la fiction ou la poésie doivent trouver leurs propres voies.

 

Epicènes

Reste l'argument de l' « inutilité ». Pourquoi s'intéresser à l'écriture inclusive ?

Parce que ce que j'appellerai désormais « l'écriture exclusive », en invisibilisant les femmes, même dans les secteurs où elles sont (largement) majoritaires, n'est pas sans rapport avec leur absence sur les tribunes, les plateaux télé, les débats, où les hommes prétendent représenter l'humanité toute entière (sinon les animaux et les plantes), tandis que les femmes ne représentent qu'elles-mêmes (le fameux « regard féminin sur l'actualité », alors qu'on ne parle guère de « regard masculin »). Et cette absence n'est pas sans rapport avec la sous-représentation des femmes aux postes de reponsabilité, qui n'est pas sans rapport avec les violences qu'elles subissent (2) et le peu de moyens pour les en protéger (malgré les discours), ou avec les différences de revenus (salaires, pensions, répartition des richesses...) et à leur persistance (malgré les discours). Bref, tout est dans tout et inversément, même s'il ne suffit pas de bouger l'un de ces obstacles à l'égalité pour faire automatiquement tomber les autres. Ceci pour répondre à l'argument, juste par ailleurs, que les sociétés où la langue officielle est moins machiste (comme le turc) ne sont pas pour autant plus ouvertes aux femmes.

Un dernier mot : vous l'aurez peut-être remarqué, dans ce texte, je n'ai utilisé à aucun moment l'écriture inclusive... C'est qu'il y a d'autres manières d'échapper au « masculin universel », par exemple en privilégiant les termes dits « épicènes », valant aussi bien au féminin qu'au masculin. Je les ai volontairement choisis au début de cet article : moche, élitiste, inutile... sont des mots épicènes. Tout comme adversaires...


 

(1) Le magazine Axelle pratique cette écriture depuis longtemps, la revue Politique a décidé de s'y mettre, et des livres entiers ont été publiés en la respectant (par exemple l'ouvrage collectif de Tayush, « Les défis du pluriel », paru chez Couleurs Livre), sans que la facilité de lecture n'en souffre en quoi que ce soit. C'est une habitude à acquérir, peut-être bousculante au début, à l'écriture comme à la lecture, mais on s'y fait très bien.


(2) Par exemple cet article de l'excellent site lesnouvellesnews : « Violences sexuelles : 'c'est le pouvoir, imbécile !' »

 

 

Mis à jour (Mardi, 05 Décembre 2017 10:03)