Ma plaies-liste du 25 novembre

25 novembre, Journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes : cette année, une manif colorée, « colèrée » aussi, mais d'une joyeuse colère, pleine de bruit, de chansons, s'emparait des rues de Bruxelles, montrant qu'on peut se mettre en pétard sans en lancer.

 Enfin, les rues... disons plutôt les boulevards, de préférence entourés de bureaux déserts le samedi, où le moins de personnes possibles risquaient de voir passer le cortège (sauf à la toute fin, un bout de la rue Dansaert). Si ce n'est les automobilistes bloqué.e.s, dont certaines lançaient des coups de klaxon solidaires, sourire aux lèvres.

Cette manif était nécessaire, énergisante, chaleureuse, offrant le carburant nécessaire pour poursuivre la lutte. Et pourtant, il y eut aussi des signaux montrant que décidément, le message a du mal à passer... Quelques exemples de ce que j'appellerai ma « plaies-liste » personnelle.

 

Mal à la RTBF

D'abord, donc, le parcours. Ce n'est pas la faute des organisatrices, qui ont négocié avec acharnement la possibilité d'assurer à la marche une plus grande visibilité. Mais que voulez-vous, l'alerte terroriste au niveau 3, les Plaisirs d'Hiver au centre ville, les incidents des derniers jours... D'ailleurs, tenez, il y a encore eu de la casse ce samedi du côté de l'avenue Louise – même si ça n'a aucun rapport avec la manif. Les femmes ne cassent pas, elles ne salissent pas, c'est à peine si elles ne ramassent pas par terre les tracts orphelins de manifestations précédentes. Bref, une fois de plus, on a manifesté pour les arbres et les petits oiseaux. Sympa mais frustrant.

Les journalistes étaient là, en nombre. Reportages de bonne tenue sur BX1 et RTL. La RTBF, par contre... Au JT de 19h30, compte-rendu arrivant après 12 minutes de journal : "Les femmes veulent profiter de l'opportunité offerte par l'affaire Weinstein". L'agence Belga ne fait pas mieux, avec ce communiqué : "A la suite du scandale d'abus sexuels impliquant le producteur de cinéma américain Harvey Weinstein et du lancement du hashtag #metoo (moi aussi) sur les réseaux sociaux, l'organisation féministe Mirabal souhaite à présent transformer l'indignation en changement concret". En voilà qui ont tout compris : sans Weinstein, il n'y aurait pas eu de manif, pas de mobilisation et même pas de conscience des violences . On a juste "profité" !

Le matin déjà, au journal de la Première à 8h, on avait pu entendre Colette Burgeon, présidente du CPAS de La Louvière, se pencher sur "LE membre du couple victime de violences..." Un masculin qui n'est rien d'autre que la négation de cette journée consacrée, rappelons-le, aux violences faites aux femmes. Justement parce qu'elles sont des femmes.

Allez, encore un petit coup pour la RTBF ? Le matin, l'excellente quoique très masculine émission "Dans quel monde on vit" avait invité une femme, mais oui ! Olivia Gazalé, pour parler du "mythe de la virilité", et ses méfaits pour les femmes comme pour les hommes. Même si l'analyse est intéressante, on aurait aimé qu'en ce jour au moins, on ne se penche pas sur les malheurs des hommes, et qu'on évite une conclusion comme "on a besoin de soldats, de winners... " (comme s'il pouvait exister des gagnants sans perdants, ceux que justement elle plaignait tant). Et pourquoi fallait-il absolument donner la parole à ce spécialiste des "man's tears" qu'est Xavier Deutsch ("le masculin est détesté, la testostérone est moquée...") ? Qu'a-t-il de si intéressant à dire (et à redire et à re-re-dire) pour être aussi souvent invité ? Et pourquoi devons-nous, en ce jour, encore entendre parler de "féminisme misandre" (le mauvais) ou de "féminisme 2.0" (le bon, celui de collaboration avec les hommes), sans une parole résolument féministe pour cadrer ou au moins, faire entendre un autre discours ?

Et si j'insiste sur mon "mal à la RTBF", c'est parce que, rappelons-le, c'est un service public, dont on peut exiger beaucoup plus, et surtout beaucoup mieux.

 

Médaille d'or à duBus

Au coeur même de la manif, certaines organisations politiques sont venues avec leurs drapeaux, ce que certain.e.s ont interprété comme une marque de solidarité et d'autres, comme une forme de récupération. Mais ce qui mérite sa place dans ma plaies-liste, c'est cette banderole vue à un stand du PTB : "Homme-Femme, notre lutte est commune, notre ennemi, le système". Déjà, ces majuscules et ce singulier font mal aux yeux. Quant au message, que ce soit clair : oui, notre lutte est commune, mais un jour comme aujourd'hui, cette banderole fait très "rappel à l'ordre". Ben non, c'est pas le "système" qui nous siffle dans la rue ou nous met la main aux fesses, ce sont des hommes en chair et en os, et parfois même des camarades.

Mais la médaille d'or de ma plaies-listes est indiscutablement décernée au dessinateur duBus et à la Libre qui l'a publié en ce jour (1), avec un dessin représentant une terrasse où une femme gueule sur un malheureux qui se contente de lire son journal : "Si vous m'offrez un café, je crie " . Au-dessus du dessin, on peut lire "Journée contre la violence faite aux femmes", des fois qu'on aurait pas compris l'allusion. duBus s'imagine sans doute très subversif, alors qu'il ne fait que reprendre cette pleurnicherie si classique : "On ne pourra plus dire bonnjour à une femme sans risquer la prison !", de ces hommes pathétiques, incapables de faire la différence entre une interaction respectueuse et du harcèlement.

Ah oui, j'allais oublier, il y a aussi une "médaille de déshonneur" dans ma plaies-liste : elle est pour la Fédération belge de Football qui a choisi, pour écrire l'hymne des Diables Rouges à la prochaine Coupe du Monde, le rappeur Damso. Allez, je ne vais pas reproduire ici ses "métaphores" et autres exemples de "codes du rap", puisque c'est ainsi que ses défenseurs.ses présentent sa violence et son mépris des femmes. Allez voir vous-mêmes, si vous en avez le courage. En ayant à l'esprit que ce lui "rappe", d'autres l'appliquent en vrai, en ayant bien intégré, et très tôt, les "codes" de la violence masculine dans les relations dites "amoureuses".

Et surtout, que la lutte continue.


(1) Je ne reproduis pas le dessin, on ne sait jamais, Dubus pourrait me demander des droits, ce serait le comble



 

Post-scriptum : Il serait possible de partir du dessin de duBus pour illustrer le piège qui enferme les femmes dans le « continuum des violences ».

 

Imaginons que la femme de l'image accepte le café que le gentil monsieur propose de lui offrir. Elle n'est pas cette « féministe enragée » qui hurle dès qu'on lui adresse la parole. Etape suivante, logique, le monsieur vient s'asseoir à sa table et entame une agréable conversation. Jusqu'au moment où elle se lève pour vaquer à ses occupations et où le gentil monsieur se transforme en dragueur de plus en plus lourd.

 

Suite possible de l'histoire, quand elle se confie à un ami :

 

Bon, il ne t'a pas insultée, c'est pas si grave, si ?

 

.....

 

Ah bon, il t'a traitée de pute? Mais il ne t'a pas touchée, pas de quoi en faire un fromage ! Dans les embouteillages, on se fait insulter tous les jours !

 

.....

 

Ah bon, il t'a mis la main aux fesses ? Et quoi, c'était désagréable... ? Bon d'accord, je plaisantais, c'était désagréable, mais enfin il ne t'a pas violée.

 

....

 

(Plus tard, au commissariat) Ah oui, hmmm, vous voulez porter plainte pour agression sexuelle. Mais je vois ici... vous avez accepté que cet homme vous offre un café, non ? Vous étiez bien consentante ?

 

Fin de l'histoire


Mis à jour (Lundi, 27 Novembre 2017 15:15)