"Pas tous les hommes"

 

Il y a les hommes au pouvoir
Il y a les hommes qui veulent rien savoir
Y a les « savants » y a les incultes
Ceux qui se moquent ceux qui insultent
 
Si vous êtes comme ça ne venez pas
Si vous êtes comme ci restez au lit
 
Je pourrais continuer sur cette « goguette » du célèbre « J'aime les filles » (Lanzmann – Dutronc), pour reprendre toutes les réactions masculines aux désormais fameux #Balancetonporc et #MeToo (ou encore #MoiAussi de nos amies québecoises). Cela va du déni à l' « appel à la raison », genre « faudrait des enquêtes objective et dépassionnalisées » (c'est une citation), en passant par la « mecsplication », à laquelle Marie Donzel a brillamment réglé son compte.
 
Mais je voudrais revenir sur un des arguments, parce qu'il me semble le plus répandu chez les « hommes de bonne volonté », ceux qui veulent bien entendre, mais enfin, faut pas généraliser, faut pas tout confondre... argument que je retrouve aussi chez des femmes pour qui j'ai de l'estime, y compris des amies, qui s'insurgent parce qu'elles, elles « aiment les hommes ».

Je vais passer, charitablement, sur ceux qui estiment que parce qu'ils ne harcèlent pas, et que même des fois ils donnent un coup de main à la vaisselle, ils mériteraient une médaille Facebook, genre #BalanceTonMecCool (là aussi, je cite). Cet argument qu'on « balance » presque à chaque fois qu'il est question de violence masculine, c'est : « Pas tous les hommes » (et on pourrait ajouter, « et surtout pas moi »).
 
Haro sur les « ahuris »

Bien sûr, « pas tous les hommes ». Mais si l'on ajoute aux violeurs, aux harceleurs, les rieurs, les complices, les indifférents, et l'énorme, l'immense cohorte des « mal entendants », cela fait quand même beaucoup de monde.

Parce qu'à côté de ceux qu'on a envie de « balancer », il y a ceux que j'appellerais les « ahuris », tous ces « innocents » qui font mine de « découvrir » une réalité que, tout simplement, ils n'ont jamais voulu voir. Comme si « l'affaire Weinstein » était le premier scandale de ce type. Comme si jusque là, les femmes avaient été muettes. Comme s'il n'y avait pas eu DSK, Polanski, Baupin, pour ne prendre que les plus récents. Comme si les associations de femmes ne s'étaient jamais intéressées aux violences sexuelles, jamais rien publié sur le sujet, jamais tenté de faire entendre leurs analyses sur le « continuum des violences ». Jamais manifesté. Jamais interpellé les politiques, les entreprises, les syndicats. Jamais dénoncé le manque de moyens pour la prévention. Jamais plaidé pour une éducation à l'égalité, dès le plus jeune âge. Jamais crié dans le désert.

Et aujourd'hui, beaucoup de ces « ahuris », au lieu de s'interroger sur leur propre aveuglement, s'en prennent à celles qui parlent ouvertement : quand elles donnent un nom, ce sont des « délatrices », quand elles n'en donnent pas, elles « manquent de courage » (à moins qu'elles n'inventent, exagèrent, règlent des comptes... sinon, pourquoi cet anonymat...?) Et puis c'est assez, et puis c'est trop, on pourrait pas passer à autre chose, là... ? Allez, avec Theo Francken, exigeons des cours de respect des femmes pour les migrants, tiens !
 
Cookie emploisonné

Bien sûr « pas tous les hommes ». Et, autre grand classique, « les hommes aussi » : oui des hommes sont harcelés sexuellement – mais la plupart du temps, par d'autres hommes. Et de toute façon ce n'est pas la même chose. Parce que les hommes n'apprennent pas, très tôt, à « faire attention », éviter certains endroits à certaines heures, adapter leur habillement non pas à leurs envies mais aux circonstances, bref à limiter leur propre liberté ; ils n'apprennent pas à s' « habituer », se résigner, comme dans ce témoignage qui dans sa sobriété, m'a paru déchirant : « #MeToo... Mais le plus triste, c’est que j’ai longtemps pensé que c’était normal. Horriblement gênant, humiliant, dévalorisant, mais normal. »

Et si, en effet, « pas tous les hommes » ne sont des prédateurs, que ceux qui s'offusquent d'être l'objet d'un soupçon se mettent un instant dans la peau d'une femme. Comme l'explique de manière saisissante la blogueuse de « Dans les choux », dans un texte de colère intiulé « Mec, ta gueule » :
« Imagine un truc que tu aimes bouffer. Tiens, un paquet de cookies. (...) Dedans, tu le sais, il y en a un chargé de cyanure. Lequel ? Aucune idée. Tu peux en manger autant que tu veux : zéro, un, deux, tout le paquet. Mais un d’entre eux te tuera. C’est bon, tu as l’image ? Super !
C’est ce que tu es. Un cookie. Si, si mon vieux, tu es un cookie. Tu n’es pas empoisonné, toi ? Tant mieux ! Mais comment je le sais, moi (...) ? Comment je devine lequel d’entre vous est un violeur et lequel est clean, hein ? Quand on sait que dans 8 cas sur 10, le violeur est connu de la victime, comment je sais que c’est pas toi ? »

 
« Moi aussi  » (je veux que ça change)
 
Alors, comme j'ai quand même envie de ne pas désespérer, et sans vouloir dresser de monument à ces hommes qui simplement écoutent, simplement s'interrogent plutôt que de s'offusquer, simplement veulent que cela change, qu'hommes et femmes puissent avoir des relations simplement normales, sur un pied d'égalité... je voudrais terminer sur une note plus positive : oui il y a des hommes qui disent, honnêtement, « Me too », moi aussi il m'est arrivé de ne rien dire quand j'aurais pu intervenir, de rire de blagues humiliantes pour une collègue, d'avoir un comportement inapproprié et peut-être même harceleur (1) , et maintenant, je veux que ça change. Pas seulement chez les autres, les copains, les voisins, les chefs, les pauvres, non : moi aussi.

 
(1) comme par exemple François Gemenne, dans Parti pris sur la Première du vendredi 19 octobre
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

Mis à jour (Dimanche, 22 Octobre 2017 10:46)