"Le fils de Saul" : encore raté...

C'est le film événement de l'année, Grand Prix du Jury à Cannes. La première fiction sur les camps de la mort jugée digne par Claude Lanzmann, l'auteur de « Shoah », lui qui estimait que toute représentation de l'holocauste était impossible.

« Le fils de Saul », du jeune cinéaste hongrois Laszlo Nemes, serait donc un film à voir absolument, une oeuvre qui renouvellerait complètement l'approche cinématographique d'un sujet qui semblait jusque là inabordable.

Je tenais donc à le voir dès sa sortie, prête à encaisser le coup, parce que jusqu'ici, aucune fiction ne m'a paru arriver à exprimer ce que mon père, lui, a tenté de me transmettre de son expérience à lui.

A la sortie de la salle, une spectatrice s'indignait : « C'était nul, mais nul !! » Elle semblait plus fâchée que déçue, plus blessée que râlant de s'être fait avoir par des critiques dithyrambiques. Je n'irais pas jusque là, mais tout de même, j'ai du mal à comprendre l'enthousiasme général.

 

Entendons-nous bien : ce n'est pas un film totalement indigne, comme d'autres que je ne nommerai pas, qui se servent d'Auschwitz comme simple métaphore. Ce n'est pas non plus une « reconstitution » impossible, un spectacle bien léché comme « La liste de Schindler » (qui reste tout de même à mes yeux, malgré tous ses défauts, ce qu'il y a de « moins pire » sur le sujet). « Le fils de Saul » se veut un coup de poing, près de deux heures où on ne peut pas se sentir « bien », où il est impossible de souffler, à aucun moment, avec un vrai travail sur l'image et ses flous, sur le son et toute la violence qu'on entend sans qu'elle nous soit montrée.

Et pourtant, l'émotion n'est pas là. Il y a, dans n'importe quelle scène du « Shoah » de Lanzmann, mille fois plus de force que dans tout le film de Nemes. Pour reprendre le motif du film – Saul croit reconnaître son fils parmi les morts dans la chambre à gaz – il suffit d'écouter Abraham Bomba, le « coiffeur de Treblinka », raconter devant la caméra de Lanzmann comment l'un de ses « collègues » a reconnu ses proches parmi les femmes auxquelles il était chargé de couper les cheveux avant qu'elles n'entrent dans la chambre à gaz, alors qu'elles ignoraient le sort qui les attendait et qu'il ne pouvait rien leur dire – pour sentir qu'il y a là un monde de différence (malheureusement, impossible de vous renvoyer à cet extrait, car les vidéos existantes sont complètement polluées par les négationnistes, un vrai scandale, voir le post scriptum). Pourtant, je suis convaincue du pouvoir de la fiction pour exprimer le plus inexprimable. Mais là, j'ai vraiment pensé : encore raté.

Reste à comprendre pourquoi ça marche pas, alors même qu'on sent la volonté de trouver un nouveau langage cinématographique pour aborder l'inabordable.

Mes compétences dans ce domaine étant assez limitées, je ne m'aventurerai pas dans des explications techniques, je me contente de me fier à mon ressenti. Le jeu des acteurs, d'abord : justement, ils « jouent » quelque chose qu'on ne peut pas « jouer ». On sent bien la peur, la violence, mais très rarement la déshumanisation ni chez les victimes, ni chez les bourreaux. C'est pourtant cela qui caractérise les camps d'extermination et les différencie le plus de bien des atrocités dont notre histoire, y compris la plus récente, ne manque pas. Les situations ont beau être « justes », les regards sont faux. Chacun a beau parler dans sa langue ou bafouiller dans celle de l'oppresseur (heureusement, ici, on ne parle pas anglais!), l'impossibilité de communiquer ne passe pas.

On me dira que tout le monde n'aura pas le courage de rester devant les 9 heures de « Shoah », d'où la limite de son caractère pédagogique. Mais s'il s'agit de découvrir ce qu'ont été les camps tout en avalant sans trop d'efforts, « La liste de Schindler » me semble effectivement la plus efficace (et la plus digne, malgré tout). « Le fils de Saul » ne peut pas prétendre à ce rôle. C'est un film exigeant et même pas très abordable si on n'a pas déjà une connaissance assez poussée du contexte.

Mais bien sûr, ce n'est là qu'un avis. Un film certainement à voir... à condition de ne pas s'attendre au bouleversement du chef-d'oeuvre annoncé.

 

PS : Mais le pire est à venir. En faisant des recherches sur Abraham Bomba, ce coiffeur qui témoigne dans « Shoah » sur les Sonderkommandos, je tombe sur une floppée de sites négationnistes. Ce sont même ceux-là qui apparaissent en tête. Sur YouTube, l'extrait intitulé « Témoin exceptionnel » et qu'on est donc tentée de regarder, est en réalité une démolition en règle de ce témoignage, par le maître négationniste Robert Faurisson (condamné par la justice française). Ce qui signifie en clair que les vidéos négationnistes sont les plus regardées. C'est terrifiant.