Compte-rendu de la conférence-débat sur la Gestation pour Autrui, 2 mai 2015

Samed 2 mai, je participais à Bruxelles à un colloque organisé par la Maison Arc-en-Ciel sur le thème de la GPA (gestation pour autrui). A la veille de la grande « foire » commerciale mise sur pied le 3 mai au BIP (maison officielle de la Région bruxelloise, bravo le gouvernement bruxellois!) par l'organisation américaine « Men havingt babies », j'apprécie que la MAC ait refusé de s'associer à cette « bourse aux mères porteuses » et ait organisé sa propre discussion, en invitant notamment deux associations (Garance et l'Université des Femmes) qui ne cachent pas leur opposition à toute forme de GPA (y compris « non commerciale ») (1).


Nous avons pu nous exprimer, sans être interrompues ni chahutées, nous avons de notre côté retenu très poliment nos moments d'indignation et de colère en entendant des déclarations sur « l'Inde, un pays merveilleux » pour trouver une mère porteuse, selon un participant (l'Inde, qui est l'un des pays les plus violents envers les femmes) ou encore sur les femmes qui exerceraient leur pouvoir sur les hommes par leur utérus... Et je ne doute pas que certains participants aient, eux aussi, ravalé quelques « gloups » en nous en entendant.

Mais au-delà de ces moments plus « émotionnels », il y a eu le fond du débat. Et là, avec un recul de deux jours, il me reste tout de même quelques remarques de fond.

D'abord, un débat certes, mais très déséquilibré. A part nous, deux autres femmes seulement étaient invitées, dont une chercheuse (réputée « neutre » et qui n'a pas du tout répondu au sujet du débat...) et une représentante d'Homoparentalités qui partageait son temps de parole avec un collègue. Soit « trois femmes et demi » face à une dizaine d'hommes, dont certains revenaient dans plusieurs panels. Les représentants envoyés par les partis politique (PS, MR et Ecolo) étaient également des hommes. Bon, disons qu'on atteint le « quota » d'un tiers de femmes, ce qui n'est même pas le cas de beaucoup de tribunes...

Ensuite, les documents laissés à l'entrée : un « texte féministe », eh oui, une interview d'Elisabeth Badinter, une des rare féministes (comme l'article le précise d'ailleurs) à défendre la GPA (non commerciale). Il n'aurait pas été difficile de trouver un autre avis pour contrebalancer : bon, on nous dira qu'on n'avait qu'à en amener un. Mais j'imagine la réaction s'il n'y avait comme SEUL texte qu'une condamnation de cette pratique, sans rien en face... C'est aux organisateurs à veiller à un équilibre, en tout cas de ce qui est distribué à l'accueil. A noter que la présentation du débat,  telle qu'on peut la lire dans la brochure du Pride Festival, prend déjà position pour une législation, sans en préciser le contenu.

Il y avait aussi le public : pas la grande foule. Aux premiers rangs, des hommes, derrière, surtout des femmes (c'en était presque caricatural). On avait demandé à des copines de venir, histoire de ne pas nous retrouver complètement isolées. Merci à celles qui y ont passé une partie de leur samedi. Je m'attendais à un plus grand nombre de gays, sachant qu'on entrait dans la quinzaine de la Pride qui attire tant de monde. Faut-il en conclure que la demande de GPA n'est guère importante, que ceux qui y ont recours ou pensent le faire n'ont aucune envie d'en débattre, ou plus simplement encore, que la date choisie, au milieu d'un long week-end, ne favorisait pas les présences en masse ?

Le langage, enfin : on a constamment parlé d'une problématique qui intéresse les « LGBT(QI) ». Que ce soit clair : cela ne concerne que les GH, à savoir les gays... et les hétéros. Une fois encore, une question « gay » est universalisée à l'ensemble des homos, trans, intersexes, qui ont bien d'autres priorités (et je parle bien là d'être « concerné », pas éventuellement « solidaire » ce qui est une autre chose).

Un dernier mot sur les mères porteuses : certains nous ont reproché, à Valérie et moi, de parler « en leur nom » sans les connaître, bien que j'aie explicitement dit que je ne parlais au nom de personne, qu'il s'agissait de dénoncer un système exploiteur et non des gens en particulier (je peux même trouver certaines histoires individuelles très touchantes : cela ne change rien à ma position). C'est vrai, je n'ai jamais rencontré de mères porteuses autrement que par colloque, article ou reportage interposé. Mais dans une matière comme celle-la, je suis persuadée qu'on peut tirer une conclusion comme son contraire de la rencontre avec les mères porteuses, et démontrer exactement ce qu'on voulait démontrer : soit qu'elles sont libres, altruistes et heureuses, soit qu'elles sont surexploitées par des intermédiaires sans scrupules, forcées d'en passer par là par la contrainte ou la misère. Moi j'aurais bien aimé qu'il y ait dès mères porteuses dans l'un des panels, ne serait-ce que pouvoir discuter avec elles. En leur absence, j'estime que la parole de nos contradicteurs gays, qui ont raconté leur propre expérience de GPA heureuse, n'est en rien mieux informée que la nôtre. Et comme la chercheuse annoncée nous a parlé d'études... démontrant que les enfants de parents homos n'ont pas plus de problèmes que les autres (ce dont personne dans la salle ne doutait, je pense), nous n'avons rien appris de plus au sujet de ces femmes.

Je n'ai effectivement pas rencontré de mères porteuses pour ce débat, mais je n'ai pas besoin de rencontrer des esclaves pour vouloir l'abolition de l'esclavage. Et si ce terme paraît trop violent à certains, je le reprends au biologiste Jacques Testart, déclarant : « Les mères porteuses pour aider les couples d'hommes, je suis contre. C'est de l'esclavage! » (2) Jacques Testart n'est ni une féministe radicale, ni un de ces fondamentalistes chrétiens défenseurs de la sainte famille ; il est l'un des « papas » du premier bébé-éprouvette (1982) et depuis lors, l'un des scientifiques les plus méfiants quant aux technologies biomédicales (tout en continuant à défendre la PMA, dès lors qu'on n'est pas dans le cadre de la fabrication d'un « bébé sur mesure »).

Une conclusion ? Le débat a le mérite d'avoir eu lieu, et peut-être, qui sait, l'une ou l'autre certitude a-t-elle pu être ébranlée, un doute élargi ? A écouter les politiques, les débats semblent s'orienter vers un encadrement d'une GPA non commerciale - sans qu'il y ait des réponses claires sur ce qu'il adviendrait des parents et surtout des enfants qui seraient tout de même nés d'une GPA commerciale. Perspective à laquelle une loi, avec ses conditions très strictes, ne suffirait pas à mettre fin.

 

 

(1) Nous avons co-signé une Carte blanche envoyée au Soir et à la Libre, qui n'ont pas voulu la publier, préférant laisser la critique de la GPA à des discours réacs de défense de la famille la plus traditionnelle. Voici ce texte

 

(2) Dans le JDD du /3/2014. Sur le contrat inégal entre mère porteuse et parents d'intention, lire notre Carte blanche (voir note ci-dessus), mais aussi un petit détail : on a beaucoup discuté samedi sur un des points imposés à la mère porteuse dans un contrat-type, l'interdiction de fumer durant sa grossesse. Exigence de simple bon sens ou atteinte à la vie privée ? L'amusant, c'est qu'aucun contrat ne semble imposer la même exigence aux parents d'intention (ne pas fumer dans une pièce où le bébé pourrait se trouver, par exemple) alors que, s'il s'agit de santé, c'est aussi nocif... et plus long dans le temps. De même, la mère porteuse ne pourrait pas boire, mais qui oserait imposer aux parents d'intention l'interdiction de se saoûler... ?


PS : le 6 mai, j'ai assisté à une projection-débat organisée par le Lobby européen des femmes concernant la GPA (mères porteuses). Le film choisi : "The Breeders, A Subclass of Women ? (Eleveuses : une sous-classe de femmes ?)" de Jennifer Lahl.
J'en sors avec trois convictions :
1) je suis toujours aussi opposée à une légalisation de la GPA, fût-elle qualifiée de "éthique" ;
2) Mais des films comme celui-là n'aident en rien à l'argumentation : il s'agit de témoignages de mères porteuses qui ont, pour diverses raisons, mal (et même très mal) vécu leur expérience. Je suis sûre qu'il est possible de trouver autant de mères porteuses qui l'ont bien vécue et de faire un film allant tout à fait dans l'autre sens (cela existe d'ailleurs) ; ni l"un ni l'autre ne "prouve" rien, sinon qu'il y a des dangers (mais on peut de la même façon le démontrer sans doute pur toute pratique novatrice) ;
3) Et qu'il est très important pour nous, féministes, de nous démarquer avec force de tous les réacs qui condamnent la GPA au nom de la famille "naturelle" et "traditionnelle". Je refuse de me retrouver aux côtés de gens qui condamnent de même le droit à l'avortement ou celui des gays et lesbiennes d'élever des enfants.
Or le risque de se retrouver à leurs côtés est très grand. Tapez "Breeders", vous arriverez vite à la Manif pour Tous (qui vend le DVD). Et moi-même j'ai retrouvé un de mes textes (amputé de sa mise en garde) sur la site d'Action pour la Famille. Et non : n'importe quels alliés ne sont pas acceptables, même si c'est une condition pour remporter une bataille

Mis à jour (Jeudi, 07 Mai 2015 09:16)