Au début, c'était juste ridicule, ces millionnaires qui se jetaient un seau d'eau glacée sur la tête avant de « nominer » trois de leurs pareils, les défiant de faire la même chose OU alors de verser un don pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique, aussi (mal) connue sous le nom de maladie de Charcot. Toute la stupidité étant déjà dans le « ou », les vedettes se filmant évidemment dans leur version trempée plutôt qu'à sec rédigeant leur chèque.

Le « ou » s'est ensuite tranformé en « et/ou », chacun/e se faisant un devoir de communiquer sur le fait que la douche froide ne dispensait pas du don. Ce n'en était pas moins pathétique de voir tous ces « ice bucket challenge » débarquer sur Facebook ou Youtube, repris par les télévisions, avec des vedettes de la chanson, du sport, de la politique ou de la finance n'hésitant pas à « se mouiller pour la bonne cause ». Se mouiller, sans blague ! Pour certains, on avait envie de dire : si tu veux soutenir la recherche, commence par payer tes impôts correctement. A d'autres : si le sort des malades te préoccupe vraiment, commence par développer le budget de la santé...

Tenez, si je n'ai envie de nommer personne, qui sait, des fois que je leur ferais de la pub, j'en citerai quand même un, qui n'en est pas à une pitrerie près, il faut dire : Bart De Wever himself. Voilà un type en train de négocier (entre autres) un recul des droits sociaux en général et une limitation du budget de la santé en particulier, et qui se renverse un seau sur la tête pour soutenir les malades... Ce n'est pas de l'eau qu'on devrait lui renverser dessus, mais du goudron et des plumes, comme au temps du Far West !

Et voilà que le « buzz » descend dans l'échelle du pouvoir, qu'on voit les membres d'un conseil communal se mettre en scène, dans la bonne humeur – il n'y a pourtant pas de quoi rigoler, comme le faisait remarquer amèrement le mari d'une malade à la radio (1) – puis atteindre le commun des mortels – mortels, c'est bien le cas de le dire. On mesure leur vraie préoccupation pour le sort dces malades en observant que toutes ces vidéos montrant leur « courage » ne donnent ni éléments d'information sur la maladie, ni un numéro de compte où verser l'eau... pardon, l'argent.

Du ridicule, on est passé à l'indécent. Indécent par le gaspillage d'eau, qui manque si cruellement dans de nombreuses régions du monde. Indécent par le message, qui revient à banaliser la charité comme forme de « solidarité » pour financer un besoin aussi vital que la recherche médicale (2). Et d'autant plus indécent quand ce message est passé par ceux-là mêmes qui décident par ailleurs de couper dans les budgets de la santé et du bien-être.

Heureusement, il y a des Gazaouis pour sauver l'honneur de l'humanité. Expliquant qu'ils ne peuvent participer aux « réjouissances » par manque d'eau et d'électricité (nécessaire pour fabriquer les glaçons), ils constatent que par contre, ils ne manquent pas de gravats, qu'ils n'hésitent donc pas à se renverser sur la tête. Ils ne demandent aucun don, ils veulent juste sensibiliser à leur situation. Une illustration de plus que l'humour est bien, comme on dit, la politesse du désespoir...

P.S. Communiqué de l'association belge contre les maladies neuro-musculaires : "Le « Ice Bucket Challenge » fait le buzz en ce moment. Cela contribue largement à faire connaître la maladie de Charcot (ou SLA : sclérose latérale amyotrophique) auprès du grand public ce dont nous nous réjouissons. Malheureusement, si nous voyons beaucoup d’images et de clips vidéo, l’information sur les associations qui œuvrent dans le domaine dans notre pays n’est pas ou ou en tout cas peu diffusée. Nous osons croire qu'une large partie du public sensibilisé souhaitera faire un geste utile pour lutter contre cette maladie."

Hélas, il semble que le geste qu'une large partie du public souhaite vraiment faire, c'est se mettre ne scène et placer son image sur Facebook.

(1) Sur la Première radio, 26 août 2014, journal parlé de 8h

(2) Sur ce même thème de la charité remplaçant la justice (ou simplement les politiques sociales), voir deux textes précédents:"Une couverture en laine c'est bien..." et  "Angry for justice"