L'intégration pour les Nuls

Les Belges de souche parlent aux Belges de souk*....                                                                                        (valable aussi pour les (non)Belges  des caravanes, des déserts, des bidonvilles, ...)

 Chers candidats belges, de séjour sinon de nationalité, car être belge ça se mérite tous les jours.... (1)

Bienvenue dans notre beau pays de cocagne qui, nous vous le disons tout de go, n'a guère les moyens de vous accueillir toutes et tous, ayant déjà dû ouvrir largement ses portes et son portefeuille à des nécessiteux en rade nommés Dexia, Fortis et autres KBC...

Néanmoins, pour les plus obstinés d'entre vous, voici une brève présentation des us et coutumes de ce lieu où vous aimeriez poser vos (maigres) bagages, des fois que vous n'auriez pas préparé votre voyage en apprenant par coeur le Guide du Routard, comme nous-mêmes avons l'habitude de le faire avant de boucler notre sac à dos.

 

Sachez donc que dans ce pays divisé (entre autres, je vous épargne les détails) en trois communautés assez étanches, le « communautarisme » est très mal vu : ghetto, repli sur soi, et autres diableries sont au bout du chemin. Ceci ne concerne évidemment pas les résidences avec gardien à l'entrée, les zones franches pour fonctionnaires européens ni les cocons ucclois s'apprêtant à accueillir les réfugiés fuyant la rage taxatoire de François Hollande.

Cependant, notre société est divisée en de multiples piliers – sans compter les piliers de comptoir. Ne dites donc pas « je suis fidèle à ma communauté », dites « je refuse de descendre de mon pilier », ça fera classe.

Quelques autres détails de nos moeurs vous aideront à éviter les conflits avec la population locale. Ainsi, comme l'expliquait si bien Geert Bourgeois dans son « kit d'intégration » (2), sachez que chez nous, on vit dans des maisons, pas dans la rue. D'ailleurs ceux qui ne se plient pas à cette règle– car il y en a, hélas, même parmi les nôtres - en squattant les gares, les entrées de centres commerciaux ou des cartons à même le trottoir, font l'objet de courageuses politiques, sous formes d'arrêts anti-mendicité, qui les ôtent de la vue des honnêtes gens.

Chez nous, lorsqu'on a rendez-vous à 9h, on vient à 9h, pas à 8h30 comme j'en ai vu de mes propres yeux arriver bien à l'avance, de peur d'être en retard pour un entretien d'embauche leur proposant un poste sous-payé, nettement en-dessous de leurs qualifications - si on peut appeler ça des qualifications quand elles ne sont pas acquises dans notre enseignement, injustement vilipendé par les enquêtes PISA.

Chez nous, on aime les nuits calmes, il est donc interdit de faire du bruit au-delà de 22h, sauf lors des exploits, heureusement très rares, de nos équipes de foot.

Le respect d'autres habitudes vous épargnera moqueries et hostilité. Sachez donc que chez nous, on ne se couvre la tête qu'en cas de pluie, c'est-à-dire souvent. On ne mange pas son couscous avec des baguettes. On ne garde pas son mouton dans la baignoire ni ses vieux parents chez soi – le mouton dans le pré et les vieux dans le home, c'est ça le progrès.

Chez nous, on est très pointilleux sur le bien-être animal : ainsi, après avoir passé leur courte vie en batterie, avec 3cm³ par individu (4 récemment grâce à la sollicitude de la Commission européenne), nos poulets bénéficient d'une séance d'hypnose avant de se faire trancher la tête. Si nous jetons les homards vivants dans l'eau bouillante ou si nous arrachons les pattes aux grenouilles sans anesthésie, c'est par respect non pas d'une bête coutume, mais d'une recette sophistiquée, marque de notre degré de civilisation.

Chez nous, on a balancé les croyances, les préjugés et les peurs d'un autre âge pour se laisser guider par la pure rationalité (3).

Ainsi, lorsque suite à un banal accrochage entre un bus et une voiture, un superviseur de la société de transports en commun est tué d'un coup de poing par l'irascible ami de l'automobiliste concerné, la réaction est immédiate : on renforce la présence policière dans les véhicules et les stations de métro. Le rapport vous échappe ? C'est que vous n'êtes pas assez rationnels.

Lorsque l'arrestation d'une femme en burqa fout le bordel dans une de nos communes à la réputation surfureuse, nous ne nous arrêtons pas à un détail sans importance, à savoir que la dame est "bien de chez nous" : nous fonçons tête baissée dans un débat sur l'imposition d'un parcours d'intégration aux primo-arrivants, à vous donc – le terme de « primo-arrivant » est déjà là pour vous décourager. Et la politique flamande d' « inburgering », jusqu'ici plutôt moquée ou traitée d'autoritaire côté francophone, devient soudain un modèle à suivre toutes affaires cessantes.

Autre exemple, lorsqu'un jeune gay d'origine marocaine est victime d'un meurtre, commis par un groupe de p'tits gars bien de chez nous, on pointe la montée de l'homophobie dans les populations allochtones. Car vous l'aurez donc compris, chez nous l'homophobie a été éradiquée. Si vous connaissez un couple d'amies noires qui sont moins bien payées que leurs collègues hétéros blancs, ce n'est en tout cas pas parce qu'elles sont lesbiennes.

Et surtout, sachez-le, car on vous le répétera sur tous les tons : chez nous, l'égalité entre hommes et femmes est la valeur sacrée numéro un - et le premier qui me dit le contraire, je lui envoie mon Mise au Point dans la gueule (4). Dans le même ordre d'idées, sachez que si la mixité ne paraît pas prioritaire dans les sphères de pouvoir, parmi les experts qui défilent dans nos médias ou même dans certaines de nos rues, en tout cas elle ne peut souffrir aucune exception dans nos piscines.

Voilà, chers candidats et candidates, quelques-unes des caractéristiques auxquelles vous devrez vous soumettre. Sachez quand même que le flamand « inburgering » ne se traduit pas par « embourgeoisement » (malgré les efforts sus-mentionnés du minstre Bourgeois) mais qu'il vous donne le droit de participer, en toute légalité, à la construction de notre futur RER ou au nettoyage de nos bureaux, à la garde de nos enfants et de nos vieux – bref, à notre bien-être dont la seule vue devrait suffire à assurer le vôtre.

Bienvenue parmi nous !

 

  1. Demandez à Yves Leterme à Paris, à Eden Hazard à Londres, ou encore à l'ex-monégasque Justine Henin...

  2. http://archives.lesoir.be/le-kit-qui-fait-hurler-les-elus-flamands-de-bruxelles_t-20120510-01XW6E.html

  3. Certaines de ces bizarreries ont déjà été pointées par l'excellent chroniqueur de la RTBF Paul Hermant, du lundi au jeudi vers 18h20 sur la Une radio.

  4. Célèbre émission dominicale qui ne rate pas une occasion de défendre cette égalité, surtout en l'absence de femmes sur le plateau

 

PS : Pour éviter tout malentendu, je tiens à préciser que j'aime ce pays, comme on peut l'aimer quand on le regarde de l'extérieur, qu'on se sent un peu étrangère mais pas trop. Je l'aime avec ses générosités et ses bizarreries, son enthousiasme pour les matches brillamment perdus avec un équipe de foot composée des meilleurs joueurs du monde, sa manière de pointer son index comme un défi à la face du libéralisme triomphant (même si les menaces se précisent), son goût pour les noeuds inextricables en matière de futilités et sa façon tranquille d'aborder des questions graves – libertés pour les homosexuel/le/s, droit à une mort douce - alors même que nos voisins français, montés sur leurs grands coqs appelés Liberté, Egalité, Fraternité, s'écharpent comme si, à chaque remise en question des conservatismes sociaux, la civilisation était en danger. Mais justement, le côté « donneur de leçon », voilà qui ne va pas du tout à ce pays que j'aime, le pays de la modestie et de l'autodérision.

 

 

 

Mis à jour (Vendredi, 08 Juin 2012 12:17)