Ridiculus Causa

 

Peut-être n'avez-vous jamais assisté à une remise d'insignes de Docteur Honoris Causa, avec toge et petit chapeau noir délicatement posé sur crâne dégarni, orchestre et discours en latin. Pour moi, c'était la première fois ; je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager mes surprises, mes émotions et mes fous-rires (ou presque).

Ce 14 mai donc, l'auditoire Janson de l'ULB était comble pour accomplir sept nouveaux et nouvelles Docteur/e/s Honoris Causa que l'Université souhaitait honorer. Quatre « académiques », dont Anne Lacaton, une femme architecte de renom – fait asse rare pour être signalé.

Tout cela était un peu raide, grandiloquent, par moments à la limite du ridicule, avec une solennité qui faisait plutôt penser à des funérailles collectives – on imaginait, dans le discours en latin, des phrases du genre « Ce grande homme... Cette femme importante... nos manquerunt maximum... » Bon d'accord, mon latin n'est pas terrible mais comme on le verra plus loin, le français local non plus.

Cérémonial un peu répétitif aussi, avec introduction du recteur, mérites de l'honoré/e retracés par un/e hononorant/e, remise des insignes, musique. Et puis toutes ces toges noires, avec un liséré de couleur (dépendant de la faculté honorante, comme je l'ai appris plus tard) et la « péritoge » jetée sur l'épaule, blanche et bleu-mauve, qui me faisait penser à une écharpe de supporter anderlechtois.

Bref, plutôt ennuyeux, en dehors de la performance de l'orchestre (en partculier du clarinettiste), capable de passer, avc le même enthousiasme, de Vivaldi au Rolling Stones, avec des arrêt sur la case jazz ou Nougaro.

Et puis soudain, le miracle : un tout petit bout de femme qui monte sur la scène. Elle s'appelle Ela Bhatt, est indienne et fondatrice de SEWA (Self Employment Woman's Association), à la fois syndicat, banque coopérative et centre de formation. J'avais eu l'occasion de rencontrer l'association dans son fief d'Ahmedabad lors d'un voyage syndical en Inde, il y a une dizaine d'années, et d'admirer la détermination et l'engagement de ces femmes.

Ensuite, voici le cinéaste Costa Gavras, que j'aurais aimé plus tranchant contre les affameurs de cette Grèce qu'il dit tant aimer. On croirait que le pays est victime d'une catastrophe naturelle, sans responsabilité humaine (et financière)... On peut donc appeler à la « solidarité » sans rien remettre en question.

Et enfin la voilà, elle, pour qui tant de personnes se pressent dans les travées, Angela Davis, accueillie par une standing ovation. Dans la salle, des poings gantés de noir se lèvent. Elle, son sourire éclatant, sa magnifique chevelure qui ne supporte pas le petit chapeau de cérémonie. La seule qui, à côté des remerciements d'usage, arrivera à glisser quelques positions politiques dans son très bref discours : contre l'silamophobie qui monte, pour la solidarité avec le peuple palestinien... Pas sûr que sur la scène, tout le monde ait apprécié...

C'est fort, émouvant... mais hélas, la cérémonie ne s'arrête pas là. Car il faut une conclusion. Qui reviendra à Alain Delchambre, président du Conseil d'Administration.

Après un bref hommage aux nominés et à leurs engagements, l'orateur se lance avec flamme dans la glorification de son institution : « Nous devons être fiers d’être l’une des universités belges qui compte le plus de penseurs divergents, non conformes. Nous devons nous féliciter du combat de tous ces empêcheurs de penser en rond ». Discours quelque peu indécent (1) dans une université qui s'apprête, à la demande d'une partie de son personnel, à mettre fin au contrat de l'un de ces « penseurs non conformes » pour un chahut sans doute stupide, mais traité par les autorités universitaires comme un acte terroriste menaçant les fondements de notre démocratie (2). « Bande d'hypocrites ! » lance une femme dans la salle.

Et pour terminer, le président invite les personnes présentes à ne pas se contenter d'un spectacle mais à « s'engager à leur tour »... « après le cocktail, après les festivités ». Chaque chose en son temps.

Et ce n'est toujours pas fini. Comme des gamins, ces messieurs d'un âge respectable (et quelques dames) entonnent le chant de l'université, dont le refrein vaut son pesant de sexisme inconscient (outre le ridicule de certains passages) :

« Frère lève ton verre/ et chante la gaîté/ la femme qui t'es chère/ et la Fraternité », (majuscule et fôte de phrançais d'origine). De toute évidence, l'ULB n'abrite que des « frères » (hétéros) et peut-être quelques lesbiennes...

Et Angela Davis, me direz-vous ? J'ai la chance de participer ce 15 mai à deux rencontres avec elle, qui feront l'objet d'un prochain article. En attendant, je vous recommande la tribune d'Anne Morelli : http://www.rtbf.be/info/opinions/detail_angela-davis-une-terroriste-honoree-a-l-ulb?id=7769154

 

(1) Je précise que ce n'est pas le texte du discours lui-même qui est ici en cause, mais le contexte dans lequel il a été prononcé 

(2) On aura reconnu « l'affaire Chichah »

Mis à jour (Samedi, 02 Juin 2012 10:15)