Vaccin obligatoire ?

2020 fut incontestablement une “année en V” : V comme “Virus”.
Ma boule de cristal m’informe que 2021 le sera tout autant : V comme “Vaccin”.
Pour éviter toute polémique inutile, je précise d’emblée que je n’ai rien d’une “anti-vax” : je suis persuadée que les vaccins sauvent chaque année des millions de vies et que ceux qui arrivent, même si on n’en connaît pas encore complètement le rapport risques/bénéfices, représentent un espoir et non une menace.

Du moins si on met de côté le scandaleux secret autour de leur coût et cette haïssable logique marchande qui permet d’être fourni en premier à condition d’y mettre le prix, comme c’est le cas pour Israël, où “selon la presse locale, les doses auraient été achetées 43 % au-dessus du prix du marché afin d’être servi en priorité et à profusion” (1).

On avait mal compris
Ailleurs, pour le moment, on parle surtout d’une pénurie de doses, une incapacité de répondre à la demande et des débats quant aux catégories de la population à vacciner en priorité. Ce qui n’empêche pas, paradoxalement, d’évoquer ici et là, comme en passant, une éventuelle “obligation” du vaccin, soit générale, soit limitée à certaines professions (comme de soin), certaines activités (comme les voyages), certains services (comme l’accès aux grands festivals de musique).
En France, le projet de loi instituant un “régime pérenne de gestion des urgences sanitaires”, déposé sur la table du conseil des ministres lundi 21 décembre, a aussitôt soulevé de vives réactions (2).

En cause, le point 6 de l’article L. 3131-9 qui vise à réformer le code de la santé publique prévoyant que, en période d’urgence sanitaire, le premier ministre pourrait, par décret, “subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités, à la présentation des résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif“.

On avait mal compris : le gouvernement a rapidement rétropédalé, affirmant qu’il ne s’agissait nullement de gérer de manière autoritaire la situation actuelle, mais de se préparer à faire face à une éventuelle pandémie encore plus grave, dont l’OMS nous prédit l’inévitable venue (3), histoire le remonter le moral des troupes.
Le 28 décembre, les médias se faisaient l’écho d’une déclaration du ministre espagnol de la Santé Salvador Illa (4) dans une interview à la chaîne de télévision La Sexta : il y était question d’un registre des personnes refusant de se faire vacciner, registre qui ne serait pas public mais pourrait être partagé avec d’autres pays européens.
Mais là encore, on avait mal compris : il s’agirait juste de récolter des données anonymisées à des fins purement scientifiques, histoire d’étudier les motivations des “ani-vax”.

Exclure les “mauvais·es citoyen·es”
D’autres autorités ont moins de pudeurs. Un article paru sur le site de la RTBF donne quelques détails sur des pistes envisagées ici ou là, pour la création d’un “passeport vaccinal” qui, sans imposer clairement une obligation, exclurait de fait les “mauvais·es citoyen·nes” d’une partie plus ou moins importante de leurs droits.

Quelques exemples en discussion (5).
En Australie, selon le secrétaire à la Santé Greg Hunt, le pays envisage de prendre en compte l’état de vaccination ou non des voyageurs pour leur permettre d’entrer sur son territoire.
En Suisse, la question de l’obligation d’être vacciné pour assister à des concerts ou des évènements sportifs est en débat.
En Grande-Bretagne, Nadhim Zahawi, le nouveau ministre de la santé nommé pour superviser le déploiement du vaccin, déclarait à la BBC : “Nous examinons la technologie […] et, bien sûr, un moyen pour les gens de pouvoir informer leur médecin traitant qu’ils ont été vaccinés. Mais, aussi, je pense que vous constaterez probablement que les restaurants, les bars, les cinémas et autres lieux, les salles de sport, utiliseront aussi ce système – comme ils l’ont fait avec l’application (test and trace)”.

Ces déclarations sont souvent contredites par d’autres responsables officiels, mais le sujet est clairement sur la table. Et En Russie, c’est officiel : le gouvernement prévoit d’émettre dès janvier des passeports spéciaux pour les citoyens ayant été vaccinés contre le coronavirus. De tels passeports pourront être utilisés notamment pour prouver à un employeur ou aux services officiels étrangers que l’on est immunisé contre le Covid-19.

Et en Belgique ?
Chez nous, à chaque occasion, les ministres affirment et répètent que le vaccin sera gratuit et non obligatoire, tandis qu’inlassablement, les journalistes comme les auditeurs/trices d’émissions interactives reposent la question.
Le Comité Consultatif de Bioéthique, lui, a adressé cependant quelques recommandations aux autorités (6), dont le fait de lancer une réflexion anticipée sur un possible recours à une vaccination semi-obligatoire (limitée à certains groupes cibles), voire totalement obligatoire.

On peut en effet y lire : “L’immunité collective est un bien commun. La solidarité impose un devoir de protection à l’égard des plus fragiles, écrivent les experts du Comité de Bioéthique, et dans ce cas, l’obligation vaccinale sera éthiquement acceptable, compte tenu du danger que représente la Covid-19 pour certains groupes de population“.
La question mérite en effet d’être posée : il y a d’un côté la santé publique – et plus encore si l’on constate au fil du temps que le vaccin empêche ou freine fortement le risque de transmission – , mais de l’autre la liberté individuelle, peut-être encore plus sensible pour une féministe que le slogan “Mon corps, mon choix” a accompagné tout au long de ses combats.

On peut me faire remarquer que d’autres vaccins sont déjà obligatoires, que ce soit pour tou·tes (polio), exigés dans certaines collectivités (rougeole..), dans certains métiers (hépatite B), pour certains voyages (fièvre jaune)… Mais outre que ces vaccins-là ont fait leurs preuves et que, en dehors des « anti vax » radicaux, ils posent moins d’interrogations à de larges pans de la population, c’est la façon d’aborder le sujet qui me met mal à l’aise.
Plutôt que d’aborder la question de face, il me semble que, tout en affirmant “mais non mais non, pas d’obligation”, on lance des cailloux dans l’eau pour voir s’ils font des vagues, et si ça ne déborde pas on essaie des cailloux plus gros, jusqu’à ce que…

On peut en effet continuer à affirmer que le vaccin ne sera pas obligatoire, mais quel est le sens de cette non obligation s’il est exigé pour voyager, avoir accès à des salles de spectacle, des commerces? Bien sûr, on me dira que c’est inimaginable, qu’en pleine période de vaches maigres les commerçants ne se priveront pas d’une clientèle en exigeant un certificat de vaccination. Mais l’idée s’incruste insidieusement.

Certain·es partisan·es de la vaccination suggèrent qu’ils/elles ne fréquenteront pas des lieux où l’on risque de croiser des personnes non vaccinées. Et plus sérieusement encore, l’idée de restrictions à l’accès à certains emplois fait son chemin.
Au bout du compte, on se dira qu’avec de telles conditions, autant rendre le vaccin obligatoire. Ce serait tout aussi autoritaire mais moins hypocrite.
Nous y voilà, CQFFD : ce qu’il fallait faire désirer?

Irène Kaufer


(1) L’Express, 4 janvier 2021

(2) Voir par exemple “Rendre obligatoire la vaccination de façon insidieuse serait une stratégie risquée”, Le Monde, 30 décembre 2020

(3) AFP, 29 décembre 2020

(4) Belga, 28 décembre 2020

(5) Tous les exemples cités sont repris de l’article: “Passeport sanitaire” ou registres des personnes refusant la vaccination : l’épineuse question du respect de la vie privée”, RTBF, 29 décembre 2020

  1. RTBF, 21 décembre 2020

Mis à jour (Vendredi, 05 Février 2021 17:43)