Le jour d'à(peu)près

Ce lundi 11 mai, en France comme en Belgique, le mot d'ordre dès le réveil sera « debout, on déconfine ! » Depuis le temps qu'on attendait ça !

Le petit déjeuner avalé en vitesse, on va s'apprêter à profiter de la première journée de shopping. On a peut-être pris congé, exprès, par besoin ou par simple impatience.

D'abord le métro, il y a bien sûr un gars qui ne porte pas le masque obligatoire, on l'observe avec la même méfiance hostile que celle qu'on lançait à certains après les attentats. Un éternuement à l'autre bout de la rame semble aussi menaçant qu'un colis piégé. Que fait la police ? Où est l'armée ? D'autres voyageurs portent leur muselière, mais sans protéger leur nez, ou la laissent tomber sur le menton pour répondre au téléphone. On soupire, on essaie de garder les distances, de s'absorber dans la lecture du journal. "Retour à l'anomale", titre Libération.

C'est avec soulagement qu'on se retrouve dehors. Bien avant l'ouverture des portes, des files se forment déjà à l'entrée de la rue commerçante. On ne peut avancer que dans un sens, pas question de croiser quelqu'un, on ne voit que des nuques, des dos, des fesses. On suit les flèches, on s'arrête derrière la ligne; mais là, juste derrière soi, on voit bien des pieds qui la dépassent. Au loin quelqu'un a toussé, est-on bien sûr·e que c'était dans le pli du coude... ? On voudrait plus de policiers, plus de vigiles pour mettre de l'ordre là-dedans. Oui bien sûr, on se souvient vaguement qu'hier, on n'aimait pas trop la police, et moins encore les vigiles. Mais ça c'était hier, le monde d'avant.

Ah voilà, les portes du magasin qui s'ouvrent... Les premier·es client·es, qui étaient là depuis 5h du matin, se précipitent. Après les barrières, les gestes-barrière (le personnel de sécurité sera rebaptisé en « garde-geste-barrière »). Se laver les mains (c'est la quatrième fois depuis ce matin, et il n'est que 10h : au lever, après le repas, à la sortie du métro, et maintenant à l'entrée du magasin). Suivre les flèches. Ne rien toucher (« Touché c'est acheté »). Attention, 10 minutes déjà, plus que 20. Pas de raccourci possible, on ne coupe pas entre les rayons. On se dépêche, d'autres attendent, la file déborde du trottoir, ça gronde !

Le paiement se fait sans contact, ni avec l'appareil, ni avec la caissière. Derrière le plexiglas, elle tente bien un sourire et quelques mots qui restent coincés dans son masque.

On est déjà épuisé·e, on s'arrêterait bien pour prendre un café mais zut, c'est vrai, les cafés sont fermés. On peut bien en emporter en « drive in », mais la file est décourageante. Alors on retourne vers le métro.

Il est 11h, les écrans diffusent les chiffres du jour : on a pris l'habitude d'attendre ce moment, le nombre de nouveaux cas, d'hospitalisations, de décès. Tant qu'il y a moins de 100 morts déclarés en 24 heures, c'est une nouvelle « encourageante ». Allez, encore un effort et on descendra sous les 50.

A la maison, on s'installe sur la terrasse avec ce café tant désiré. Les voisin·es d'en face préparent une longue table pour un repas avec des invités, qui arrivent justement. On se surprend à se demander si la règle de quatre est bien respectée, et si ce sont vraiment les mêmes que la dernière fois... Puis on se secoue : on ne va quand même pas se mettre à surveiller les voisin·es !

On avale vite une tartine au fromage en regardant le JT. En ouverture, on y voit ce témoignage poignant d'une cliente qui voulait acheter des chaussures pour la petite – ça pousse si vite, à cet âge – et qui s'est rendu compte à la dernière minute qu'elle se trouvait dans la file pour les toilettes (parce qu'avec toutes ces files et la fermeture des cafés, on espère bien qu'on aura pensé à installer des toilettes mobiles). On éteint la télé, on allume l'ordinateur. Pas question de sieste, on a du téléboulot, avec une visioconférence à 14h. Heureusement que le congélateur est plein et que cette semaine, les enfants sont chez l'autre parent...

 

(à suivre)

Mis à jour (Lundi, 11 Mai 2020 08:50)