L'égalité oui, mais à quoi ?

Ce dimanche 7 juillet, l'équipe américaine remportait pour la quatrième fois le titre de Championnes du Monde de foot. Pendant que les joueuses célébraient leur victoire sur la pelouse, dans les tribunes des fans criaient « equal pay ! » (« Salaire égal ! »). Et des féministes de reprendre cette revendication (portée d'ailleurs par des joueuses elles-mêmes) avec enthousiasme.

Sérieux... ? On veut vraiment que les femmes aient les mêmes salaires déraisonnables, qu'elles soient vendues (pardon : transférées) pour des dizaines de millions de dollars, qu'elles servent de support publicitaire à des marques qui salivent déjà à l'idée d'élargir encore leur visibilité et leur chiffre d'affaires... ?

Ou bien on voudrait en profiter pour souligner qu'on peut gagner et surtout développer un beau jeu en dénonçant les dérives du foot masculin, la brutalité de certaines fautes dites « professionnelles », le cinéma pour obtenir un penalty, la véhémence des protestations pour impressionner l'arbitre... et aussi, mais oui, le fric qui coule à flots ?

Moi ce que j'aime dans le foot féminin, c'est précisément ce qui le différencie de son homologue masculin. Moins d'interruptions, moins de râleries et de contestations, moins d'anti-jeu et de « neymarades » (consistant à se rouler par terre pour obtenir un coup franc)... J'aime aussi que ces femmes soient plus souvent et ouvertement militantes de causes diverses, à commencer par la lutte concrète contre l'homophobie en n'hésitant pas à faire leur coming out, encore tellement tabou chez les hommes (ainsi des journalistes ont « compté » lors de ce Mundial 40 lesbiennes affirmées, dont 2 coaches). Peut-être est-ce justement la difficulté à se faire une place dans un monde d'hommes qui rend ces joueuses plus conscientes des discriminations, et plus déterminées à les combattre.

 

Rage intersectionnelle

On a pu constater par contre que les équipes étaient bien moins multi-ethniques que leurs équivalentes masculines. Le Monde s'est étonné de la composition très blanche de l'équipe des Etats-Unis, avec cette explication : « Traditionnellement aux Etats-Unis, le football – soccer – est un sport pratiqué dans les familles aisées blanches des banlieues de grandes villes. Plus que les autres sports populaires, il demande un investissement financier et familial important. »

L'explication vaut pour ce pays, mais on peut faire le même constat pour d'autres équipes, comme la France ou l'Allemagne. Ce n'est peut-être pas seulement une question d'argent, mais aussi de certains préjugés sur « le foot pas fait pour les filles », et d'un manque de curiosité de ceux (toujours plus nombreux que les celles...) qui vont dénicher les talents dès le plus jeune âge. Gageons que de nouvelles joueuses, dans d'autres milieux sociaux et avec d'autres origines, émergeront peu à peu et qu'elles aussi auront la rage... intersectionnelle.

 

L'égalité dans l'injustice ?

L'exemple du foot féminin n'est cependant qu'un cas particulier des limites d'un féminisme strictement «égalitaire ». Bien sûr que moi aussi je suis pour l'égalité, mais je pense qu'on ne peut s'épargner la question, soulevée déjà par Françoise Collin, « l'égalité à quoi ? »

Dans uen société injuste dans ses structures mêmes, peut-on se contenter de réclamer « l'égalité dans l'injustice » ? Une papesse, une générale, une PéDéGère (ou CEO comme on dit aujourd'hui) changent-elles vraiment le sort des femmes (en dehors du leur) ? Celles qui arrivent à percer le plafond de verre allègent-elles pour autant la glu du plancher collant ? Davantage de femmes riches, est-ce synonyme de moins de femmes pauvres ? Autrement dit, à se fixer comme objectif « la même chose que les hommes », ne risque-t-on pas, comme effet secondaire à l'insu de son plein gré, de creuser les inégalités entre les femmes... ?

Et qu'on ne me dise pas qu'il s'agit d'une première étape, qu'une fois l'égalité obtenue, on se battra ensemble contre les autres injustices. Il est peu probable de voir des privilégié·es lutter contre leurs privilèges, surtout s'ils ont été durement acquis.

Ce monde fait par les hommes pour les hommes est-il tellement « désirable » que nous, femmes, voulions y prendre notre place sans le remettre en question ? Se battre comme eux, compétitionner comme eux, écraser comme eux ?

Et j'en reviens toujours à cette formule de ma chère Françoise Collin : « le féminisme, est-ce le devenir hommes des femmes, ou le devenir autres des hommes et des femmes ? » En ce qui me concerne, le choix est fait.