Indignations intersectionnelles

Donc, Damso ne chantera pas l'hymne des Diables Rouges à la prochaine Coupe du Monde. Ou plutôt, la chanson que Damso a écrite pour cette occasion, à la demande de l'Union belge de football, sera écartée, pour des raisons éthiques, de cette grande fête de millionnaires tapant sur un ballon dans le pays de Poutine, dont on connaît le souci pour les droits humains. Là où notamment les LGBT+ doivent se cacher pour (sur)vivre et où les peines pour violences conjugales viennent d'être allégées (réduites à de simples amendes).

Après des mois de refus d'entendre des associations féministes portestant contre le choix de Damso, l'Union belge a fini par céder aux pressions de sponsors très préoccupés par les droits des femmes, comme Carrefour qui s'apprête à en renvoyer plusieurs centaines dans leurs foyers ou Inbev, propriétaire des « hommes savent pourquoi » et grand bidouilleur d'ingéniérie fiscale, qui lui permet de payer un minimum d'impôts et de contribuer le moins possible à la redistribution des richesses, qui concerne particulièrement les femmes (1).

 

"Censure" et "racisme"

Après une telle introduction, je me suis déjà mis à dos la moitié de mes amies féministes, car ce sont elles qui ont dénoncé le choix de Damso, même si leur avis n'a pas beaucoup pesé avant que les sponsors, puis quelques politiques bien droitiers, ne s'en mêlent . J'entends par contre les applaudissements sinon des fans du rappeur – ils ne doivent pas être nombreux à me lire... - du moins de celles et ceux qui, depuis la reculade de l'Union belge, crient à la « censure », au « racisme » et au « classisme », voire à la mort de leur chère « liberté d'expression ».

Il est donc temps de les agacer aussi...

D'abord, il n'y a aucune « censure » : Damso va continuer à vendre des CD et à monter sur scène, avec parfois l'appui de ces mêmes sponsors (hypocrisie soulignée par plusieurs articles de presse – mais j'y reviendrai plus loin). Certes, je me suis permis de critiquer une stratégie qui, outre qu'elle fait une pub d'enfer à Damso, consiste à s'adresser, comme garants de l'éthique, à des multinationales dont j'ai déjà dit plus haut à quel point ils se préoccupent des droits des femmes (et des droits humains en général, en dehors de leur droit de faire du fric sur tout et n'importe quoi). C'est leur donner le droit, sinon le devoir, d'intervenir dans les choix des artistes : et si demain ils font pression pour écarter une oeuvre trop « subversive » ? On leur aura donné un bâton pour se faire battre. Cependant, malgré toutes ces réserves, je trouve totalement déplacé de parler dans ce cas-ci d'atteinte à la libeté d'expression : personne ne demande que Damso soit « interdit », juste qu'il ne représente pas tout un pays, qu'on suppose uni derrière son équipe de millionnaires (dont pratiquement tous jouent à l'étranger, tellement ils aiment ce pays qui les adule).

Ensuite, l'accusation de « racisme » ou de « mépris pour le rap, culture populaire ». Pour le racisme, rappelons tout de même Orelsan, que sa « blanchéité » n'a pas protégé d'une plainte en justice (où il a été relaxé) et d'une série de déprogrammations, avant que les Victoires de la Musique n'en fassent leur héros cette année. Des féministes continuent à protester partout où il passe.

Damso n'est donc pas visé parce qu'il est noir. On fait aussi un mauvais procès aux féministes en prétendant que pour elles, le sexisme ne se nicherait que dans le rap. On leur rappelle évidemment Sardou, qu'on peut haïr ensemble puisqu'il est de droite, et ses « Villes de grande solitude » où il exprimait notamment son « envie de violer les femmes »... Avec l'inévitable commentaire « et personne ne s'offusque de... »

Ce n'est pas parce qu'on est trop jeune pour être au courant ou que certaines indignations sont plus médiatisées que d'autres, qu'on peut agiter ainsi ce « personne ne s'offusque » qui est tout simplement faux. On s'est tellement « offusqué.e.s » contre Sardou que certains de ses concerts, notamment à Forest National, ont donné lieu à des manifestations (je le sais, j'y étais, et là on aurait pu parler de « censure », car le but était bien de l'empêcher de chanter.. sans succès d'ailleurs, et je dirais heureusement...). Et il faut être sourd.e pour prétendre que jamais, au grand jamais, des féministes n'ont pointé la détestation des femmes de certaines grandes pointure du rock ou de la chanson (à commencer par Brel...) Ou encore, ce qui sera sans doute moins populaire auprès de mes camarades de gauche, la misogynie revendiquée de ce grand « anar » de Léo Ferré, celui qui disait (dans des interviews, pas des chansons « fictionnalisées ! ») « je hais les femmes cultivées ! », et autres joyeusetés. Tous ces hommes auraient pour « excuse » d'avoir été blessés, trompés, abandonnés par d'horribles mégères. Sans doute aurions-nous plus d'indulgence pour tous ces hommes brisés qui crient leur douleur s'ils n'étalaient pas avec tant  de complaisance des envies de viol ou de meurtre, qui sont hélas des réalités pour bien des femmes, justement de la part de leur compagnon et justement, souvent, après une (menace de) séparation... (2)


Une autre « punchline »

Au fait, et Damso, ce grand poète... ? Je serais curieuse d'écouter une compilation de chansons où ne figurerait aucun de ces termes : couilles, niquer, cul, baise, pute. C'est moins de la « pudibonderie » que de la lassitude, comme à l'écoute de ces autres où l'omniprésence de fleurs, de ciel, d'arbres, d'enfants ou d'ahahahamour, finit par me donner à moi aussi des envies de meurtre (mais je les garde pour moi).

En conclusion : en tant que féministe, je ne peux que trouver insupportables des paroles teles que celles-ci : « J'aime la violence et voir le sang qui coule. Entendre mes ennemis dire "pardon", sans leur pardonner. Baiser leur meuf en transmettant la chtouille. J'suis très méchant quand couilles tu me les casses (putain). J'pourrais t'égorger, te voir vider de ton sang, finir mes jours en prison. Sans jamais regretter mes actes ».(3)

Alors certes, Damso a déjà répondu « Je m'en bats les couilles de l'exemple que je donne au jeunes / J'suis pas éducateur, fais tes sous et ferme ta gueule » (Ipséité), c'est son droit en tant qu'artiste, et ce qu'onn appellerait ailleurs « incitation à la violence » porte ici le nom inoffensif de « punchline». Mais  je me demande quand même si une « punchline» en sens inverse pourrait avoir le même succès. Allez, je me lance : « J' vais t'arracherr les couilles / t'les enfoncer au fond de la glotte/ Puis j'te défoncerai la bouille/ En chantant cut cut cut...» Bon d'accord, je n'atteins pas le même niveau de poésie, mais l'idée y est. J'espère que les sponsors me suivront.

 

 

 (1) Parce que leurs revenus directs sont plus bas que ceux des hommes, et que les services publics dont particulièrement importants pour elles : comme travailleuses, comme utilisatrices et aussi comme « compensatrices », car c'est sur elles que retombent les responsabilités des services qui ne sont plus rendus collectivement (notamment en matière d'éducation, de santé, de prise en charge de persones dépendantes...)

(2) D'après les chiffres de Stop Féminicide, 39 femmes tuées en Belgique en 2017 et déjà 11 en un peu plus de deux mois en 2018

(3) A noter que Damso n'exprim epas seulement son mérpis dans ses chansons. Dans cette interview, en « explication de texte », il répète  à propos d'une femme qu'il « l'a baisée comme uen chienne », expression dont, je l'avoue, le côté poétique m'échappe quelque peu

 

PS : Et pourtant si, on peut faire autrement, on peut changer d'avis, on peut prendre conscience des dégâts qu'on pourrait faire et essayer de se rattraper, sans perdre ni la face, ni...

"Je crois qu'il est grand temps que les pédés périssent", lançait en 2010 Maître Gims dans "On t'a humilié". Il n'en fallait pas plus pour que le groupe doive s'expliquer devant la presse, voit son partenariat avec NRJ annulé ainsi que de nombreuses dates de concert. "Ces textes ont été écrits lorsque nous étions adolescents mais cela ne justifie rien...", se désole alors Lefa.

Pour contrer la polémique, la maison de disque de Sexion d'Assaut invite le groupe à s'impliquer dans la lutte contre l'homophobie. Les titres incriminés ne sont plus chantés sur scène, les albums retirés des bacs, et des places sont offertes aux militants LGBT pour qu'ils puissent eux-mêmes vérifier que l'homophobie a été poussée hors de scène. Le groupe doit même distribuer à leur public des tracts prônant la lutte contre l'homophobie et les autres types de discrimination.

(extrait de la Libre, 15 février 2018)

Malheureusement, aujourd'hui encore, le sexisme est beaucoup mieux toléré que le racisme ou l'homophobie....

Mis à jour (Lundi, 12 Mars 2018 15:09)