Violences faites aux femmes : pour ou contre ?

 

Signée par plus de 160 personnes, notre Carte blanche est donc parue dans le Soir du 5 mars 2018 (1). Elle est accompagnée des réactions des différent.e.s protagonistes, et c'est normal qu'on leur donne aussi la parole ; mais cela signifie que si les autres ont eu accès à notre texte pour y répondre, nous n'avons pas eu l'occasion de répliquer.

Je me permets donc de le faire ici, sans prétendre exprimer l'avis de tou.te.s les signataires, ni vouloir avoir le dernier mot, mais pour reprendre certains arguments que j'aimerais démonter.

Pour ce qui concerne Anne Morelli, précisons tout de suite qu'elle n'est pas « cible » de notre Carte blanche ; nous n'avons jamais refusé de débattre avec elle, je l'ai fait moi-même longuement sur Radio Campus et d'autres à la radio ou à la télé. Nous nous contentons de la citer parce que nous continuons à penser que, en dehors même des « outrances » de certaines de ses co-signataires, la tribune dite des « 100 » ou « Deneuve », qui défend le droit (des hommes) d'importuner (les femmes), n'est qu'un magnifique cadeau aux machistes de tout poil. Après, Anne Morelli peut nous faire des leçons de « sororité » (dans la Libre), c'est bien cette tribune qui dézingue ces femmes qui se prendraient pour de « pauvres petites victimes », quand il serait si simple de montrer de la compassion pour les pauvres « frotteurs du métro » et leur misère sexuelle, ainsi que pour ces malheureux qui ont perdu emploi et famille pour une main sur un genou (2).

Un autre argument qui m'énerve particulièrement, est celui-ci (extrait de sa réponse dans le Soir) : « Les gesticulations des vedettes du "star system" américain détournent l'attention des problèmes réels du quotidien des femmes. (...) Les féminicides du quotidien m'inquiètent davantage que la main aux fesses des millardaires américaines d'Hollywood. Les femmes vivent aujourd'hui, avec le détricotage de la Sécurité sociale, des violences économiques qui sont ma préoccupation première ». Non seulement c'est le coup classique des détourneurs d'attention, « pendant qu'on parle de ceci, on ne parle pas de cela », comme si l'un empêchait l'autre et alors même que de nombreux.ses signataires de la Carte blanche sont par ailleurs très impliqué.e.s dans les luttes sociales (à commencer par moi...) Mais là où elle n'est vraiment pas gênée, c'est dans son mérpis des « stars de Hollywood » alors que, que l'on sache, les chômeuses, femmes de ménage et autres ouvrières ne sont pas très nombreuses à avoir signé sa tribune à elle... Et elle pourrait peut-être revenir à plus de modestie en lisant ceci : « Le mouvement #MeToo donne de l'espoir aux ouvrières américaines ». Et pan, dit la « talibane » (pusique c'est le joli nom donnt elle nous affuble dans la Libre).

Passons à Enthoven, dont la présence, elle, est un motif de rupture pour le 8 mars (mais avec qui je suis prête à débattre en dehors, hein, Raphaël). Dans sa réponse, il assure : « « Croyez-moi : il y a plus misogyne que moi ! » C'est sûr, on peut toujours mieux faire. Il commence donc par citer ses états de services dans la dénonciation de violences faites aux femmes et même des preuves de son soutien à #MeToo et BalanceTonPorc. On le trouverait presque crédible et on se demanderait si on ne s'est pas trompées de cible, lorsqu'il ajoute : « BalanceTonPorc comporte aussi un risque d'amalgame et de chasse aux sorciers. Le fait qu'on range dans la même catégorie des dragueurs lourdingues et des prédateurs organisés en témoigne suffisamment. Le dire n'est pas combattre le slogan, mais le préserver de son dévoiement - comme Camus préservait la révolte du péril révolutionnaire ».

Waou, Camus, admirons déjà la modestie, pourquoi pas Gandhi ou Mandela !

Mais prenons l'argument de fond, le « dévoiement » et le refus des « amalgames ». Imaginez juste une femme qui s'est fait tripoter dans le métro, a dû subir la «drague lourdingue» d'un supérieur au boulot, s'est fait traiter de salope dans la rue parce qu'elle a refusé d'aller prendre un verre, et qui rentre chez elle, épuisée (d'autant que c'est régulièrement pareil). Que lui dirait notre brave philosophe ? « Ben quoi, t'as pas été violée par des prédateurs organisés, alors arrête ton char, hein ! Pas d'amalgames ! »

Je vous renvoie donc la question : quelle est la pertinence de payer le Thalys (et plus si affinités...) pour cet exemplaire parfait de « mansplainer » ou « mecsplicateur » (3) , justement à l'occasion du 8 mars, qui est, rappelons, la journée internationale des droits des femmes.... et pas celle de leur remise en cause ?

Plus largement donc, je maintiens que ce colloque est tout à fait déplacé : nosu ne refusons pas de débattre (4), mais pas en ce lieu et à cette occasion. Du Parlement nous attendons des mesures concrètes pour lutter contre ce « continuum des violences » que les féministes dénoncent depuis longtemps dans le désert et qui enfin, grâce au mouvement #MeToo, prend une certaine visibilité. Celles et ceux qui n'y voient que « risques de dérives » ou de « dévoiement », d' « amalgames », envoient aux femmes qui osent parler et commencent enfin à être entendues le message que de tous les « droits » pour lesquels elles se battront ce 8 mars, elles ont surtout celui.... de se taire.


(1) Deux pages « débats » y sont aussi consacrées dans la Libre du 6 mars

(2) Exemples repris de la fameuse tribune, si vous voulez la lire, il vous suffit de chercher un peu, ne comptez pas sur moi pour assurer sa diffusion...

(3) Terme désignant ces homes qui expliquent aux femmes ce qu'elles devraient faire, dire, penser, et qui se prennentn souvent pour des "féministes" hors pair (je ne dirai pas paire de quoi)

(4) A signaler aussi que les associations qui ont refusé de participer à ce colloque (Vie Féminine, l'Université des Femems et Garance) n'étaient même pas invitées à débattre avec Morelli et Enthoven : elles figuraient dans un autre panel

Mis à jour (Mardi, 06 Mars 2018 11:44)