Les Insoumis/es, la peste et le choléra

Entendons-nous bien : si j'étais française, j'aurais voté Mélenchon, malgré tous les désaccords que j'ai avec son programme et le peu de sympathie que m'inspire le personnage. Malgré tous ces drapeaux bleu-blanc-rouge brandis lors de ses meetings, malgré une campagne ultra-personnalisée – mais c'est dans la logique de la Ve République, qu'il comptait précisément changer. Je constate que cette campagne est réussie malgré la défaite, qu'elle a probablement su redonner de l'espoir à des gens qui n'en voyaient plus ailleurs et probablement, détourné certain/e/s d'un vote Le Pen.

Je sais bien que mon avis, tout virtuel, pour le second tour, ne compte guère, mais je le donnerai quand même, parce que ce que je lis et que j'entends parmi mes ami/e/s (au sens facebookien, c'est-à-dire très large) ou ma famille politique me perturbe et parfois, même, va jusqu'à me choquer.

Je fais allusion à l'attitude de Mélenchon, qui consulte ses troupes pour savoir quelle sera la position des Insoumis/es au second tour de la présidentielle. Jusque là, il refuse non seulement de donner une consigne de vote – ce qui peut se comprendre : les voix de ses électeurs et électrices ne lui appartiennent pas – mais même d'affirmer clairement son propre choix. Attitude qui semble malheureusement approuvée chez nous par le PTB, à en croire la réaction de Raoul Hedebouw.


Un petit tour sur la page de la « Campagne insoumise » semble donner l'indication qu'on s'achemine vers une abstention, voire un vote nul avec un bulletin « Mélenchon » glissé dans l'urne. Les appels à faire barrage à Le Pen, quitte à voter Macron « en se bouchant le nez », sont minoritaires. Plus rares encore – mais ils existent - , les plaidoyers en faveur d'un vote Le Pen, pour pousser l'insoumission jusqu'au bout et foutre le bordel intégral.

On voit d'ailleurs de drôles de choses sur cette page : des photos en grand du « héros » avec des commentaires qui frisent le culte de la personnalité, des soupçons au ton très complotiste (« élections truquées ! »), des insultes pour tout autre vote que celui pour Mélenchon (les 4 Français sur 5 qui n'ont pas voté pour lui sont traités de « bâtards »)... Certes, sur Facebook on trouve de tout, mais il est quand même préoccupant que la page ne soit pas du tout modérée (ou si elle l'est, que de tels propos puissent passer).

Je peux comprendre qu'on plaide l'abstention avec de vrais arguments, qu'ils soient politiques (« l'ultra libéralisme fait le lit de l'extrême-droite »), stratégiques (« Macron va gagner de toute façon, mieux vaut qu'il ne se croie pas tout permis avec une victoire trop large ! ») ou personnelles (« non, voter Macron, vraiment je ne peux pas »). Là où je bondis, où tout en moi se révolte, aussi bien mes convictions politiques que mes sentiments les plus profonds (ben oui, ça joue aussi), c'est quand je lis que Macron ou Le Pen, c'est du pareil au même, la peste ou le choléra, le diable ou Lucifer. Car comme le dit Hamon - qui n'a pas dit que des bêtises, malgré ses pathétiques 6% qui auraient si bien pu aider Mélenchon à se qualifier au second tour - , il ne faut pas « confondre un adversaire politique et un ennemi de la République ».

Je sais, on peut me demander de quoi je me mêle ? Après tout, je ne vis pas en France, je ne vote pas en France, et je ne fais même plus partie de ces « classes populaires » que je prétends défendre. Et je comprends celles et ceux qui trouvent un peu ridicule de s'écharper entre Belges pour une élection sur laquelle on n'a aucune prise. On ferait mieux de s'occuper de nos propres échéances.

Et pourtant, si, je me sens concernée. Pour des questions de principe comme de choix politiques à venir.

Mélenchon a une responsabilité d'autant plus grande que, comme il a détourné une partie de l'électorat d'un vote FN, privant peut-être MLP de cette « première place » qui lui semblait promise depuis des mois, le risque me paraît réel que ces électeurs/trices y retournent. Sachant que c'est déjà le FN qui est premier chez les ouvriers, employés et chômeurs, il y a un vrai travail à faire avec cette population pour qui le vote « Macron » est presque contre-nature. Après, bien sûr, chacun/e décidera : il ne s'agit pas d'amener les gens au bureau de vote avec un revolver sur la tempe. Juste d'argumenter.

Ici, en Belgique francophone, nous avons un « cordon sanitaire », qui implique que les médias ne donnent pas la parole à l'extrême-droite en direct et que les partis démocratiques (même si on peut avoir des doutres sur certains...) ne s'allient pas avec elle. Certes ce cordon semble bien lâche puisqu'il laisse passer un parti comme la N-VA, avec des personalités aussi « douteuses » que Theo Francken. On peut discuter de son efficacité – l'absence d'une extrême-droite forte en Wallonie tient certainement à bien d'autres raisons ; mais il reste un principe, aussi ténu soit-il, auquel on peut encore se référer. Si l' « horreur libérale » et la droite extrême c'est du pareil au même, pourquoi se gêner ? Coupons le cordon, camarades, avec champagne et chants de résistance. Et avec nos 20%, sans pitié, sus à l'ennemi, au sens (très) large.

Je me permets donc de me mêler de ce qui me regarde parce qu'il s'agit bien de ma famille politique, avec laquelle je peux supporter des désaccords – il n'en manque pas – mais pas sur des « fondamentaux ». Et là, on est vraiment dans le fondamental. Je ne peux pas admettre qu'on mette sur le même plan un « banquier » (encore heureux qu'il ne soit pas juif... quoique les allusion à Rotschild ne manquent pas...) et l'héritière, même indirecte, d'un régime qui a exterminé les miens – et là je ne parle pas seulement de ma famille. Un régime où j'aurais eu l'honneur de me balader avec au moins trois décorations : étoile jaune, triangle rouge et triangle rose. Certes, les « cibles » ne seraient plus les mêmes et les méthodes sans doute moins extrêmes, mais le fond y est : la haine et le mépris de « l'autre » (même si cet autre a changé), et la « France über alles ».

Alors oui, quoi que l'on pense de Macron et de sa politique à venir – et je n'en pense pas de bien – je suis persuadée qu'il faut, sans une once d'hésitation, choisir son camp. Le camp avec ou sans barbelés.

 

A lire le blog de Hugues Le Paige : http://blogs.politique.eu.org/Apres-le-1er-tour-un-matin-un-peu

 

Mis à jour (Mardi, 25 Avril 2017 09:39)