Les cadeaux ratés

Noël. Ses chants, ses illuminations, ses marchés, ses repas de famille, son sapin... et sous le sapin, les cadeaux.

Il paraît qu'en 2019, le cadeau préféré des Belges c'est l'argent. De l'argent ! Quelle tristesse. Bien sûr, quand on a peu de moyens et qu'on ne peut pas s'offrir même le nécessaire, l'argent peut aider. Tout comme un cadeau « utile » - un berceau pour un enfant à naître, un four micro-ondes quand le nôtre vient de nous lâcher, un bon accordeur de guitare quand (comme moi) on a tendance à jouer faux, etc. Pouvoir s'acheter ce dont on a vraiment envie, ou recevoir ce qu'on a demandé, ça peut faire plaisir, c'est sûr. Comme un enfant que le père Noël a voulu combler. Le Père Noël, il a beaucoup trop de travail, trop d'enfants à combler, il ne peut pas se casser les méninges pour imaginer une surprise pour chacun·e. Mais une fois qu'on dispose de ses propres sous, et qu'on en a en suffisance pour ne pas attendre que le nécessaire nous tombe du ciel, le cadeau, le vrai cadeau, n'est pas forcément le superflu, l'imprévu... ?

Il n'est pas question ici de faire l'éloge du consumérisme, du n'importe quoi dans un joli paquet, qu'on ouvrira avec une fausse joie et qu'on laissera agoniser au fond d'un placard. L'imprévu peut être une petite chose, fabriquée maison, ou choisie méticuleusement pour l'autre, pour un·e autre unique, avec l'idée qu'on s'en fait – et qui peut être fausse, mais qu'importe. Quelque chose qu'on offre à une personne précise et pas à celle d'à côté. Cette année, par exemple, j'ai reçu une minuscule chouette en verre, parce que la chouette, « bouboule » pour les intimes, est devenue une sorte de symbole de mon rapport avec ma famille de coeur. J'ai reçu aussi une BD qui n'était destinée qu'à moi, parce qu'elle évoque le ghetto de Varsovie et que son personnage central s'appelle « Irena ». Je ne sais pas si je l'aimerai, mais je sais que j'aime celles et ceux qui l'ont choisie exprès pour moi.

Quand on m'offre un livre ou un CD, je n'espère pas celui sur lequel je lorgne depuis longtemps – je peux les acheter moi-même. Non, ce que j'aime c'est une découverte, un·e artiste inconnu·e, un enthousiasme que l'autre voudrait partager avec moi. Avec le risque, bien sûr, d'être à côté de la plaque.

J'en viens ainsi aux « cadeaux ratés » de mon titre. S'ils sont « ratés » par indifférence, un défaut d'attention, ou même une volonté sournoise de moquerie, ils peuvent faire mal. Mais parfois, ils sont ratés par maladresse, méconnaissance, prise de risque, enthousiasme excessif... Et dans ces cas-là, après un bref moment de déception - c'est humain - j'avoue éprouver une grand tendresse, quand j'ai la conviction qu'on a voulu bien faire et qu'on s'est planté.

Lorsque j'ai quitté mon dernier emploi, j'ai reçu un « kit d'aventurière ». Désormais, m'ont annoncé mes ex-collègues, j'aurais le temps de voyager, et voici mon équipement : je pourrais me préparer du café sans avoir besoin d'électricité, grâce à ma gourde magique je ne craindrais pas de boire l'eau même d'une rivière polluée et, attention suprême, grâce à un carnet et un stylo fzaits de matières particulières, je pourrais même écrire sous la pluie.

Certes, j'ai aimé l'aventure, les voyages sac au dos, le camping sauvage, ou même construire une école antisismique dans un pays en guerre, moi qui suis incapable de monter une bibliothèque d'Ikea... Mais aujourd'hui, mes grands voyages s'arrêtent au bord d'une piscine, quand ce n'est pas dans un hôtel en all-in, et le seul risque de mouiller le carnet qui (de fait) ne me quitte jamais, c'est l'éclaboussure de mon coktail en happy hour.

Mais ce cadeau pour l'aventurière que je ne suis pas reste un beau souvenir, un peu nostalgique de cette image que j'ai pu donner et qui ne me correspond pas, ou plus. Je ne me suis pas précipitée pour l'échanger, ou le revendre en seconde main, comme il est aussi devenu, paraît-il, courant de le faire.

Oui, en ce qui me concerne, j'éprouve une grande tendresse pour les cadeaux que je n'attends pas, et qui ne sont vraiment destinés qu'à moi. Y compris les cadeaux ratés.

 

Féminicide

D'emblée je l'avoue : je n'étais pas convaincue par le terme de « féminicide ». D'abord, sans doute, par méfiance de la nouveauté. Ensuite, parce que ce terme ne concerne que les mortes, pas celles qui en ont réchappé mais qui sont marquées à vie, pas celles qui subissent jour après jour les violences machistes. Et quand des politiques, dans un grand élan de générosité sur le ton « je vous ai comprises ! » proposent d'introduire le terme dans le Code pénal, sans aucun moyen humain ou matériel supplémentaire, sans aucune proposition de politique globale, je m'en méfie encore plus, comme d'un gadget jeté en pâture pour calmer une colère qui monte.

Une femme tuée, c'est "plus grave" ?

Cependant, malgré ces réserves, j'ai bien dû admettre que l'emploi du terme « féminicide » à la place de « crime passonnel » ou de « drame familial » est un pas en avant vers la reconnaissance des violences faites aux femmes en tant que femmes.

Parmi celles et ceux qui continuent à s'y opposer, de bonne foi (je laisse de côté les masculinistes rabiques), deux arguments émergent : une femme tuée, est-ce plus « grave » qu'un homme tué ? Et les hommes victimes de violences, on les oublie ? Je vais tâcher d'y répondre.

Le terme ne s'applique pas à tous les cas : une femme tuée dans un accident, un attentat ou au cours d'un cambriolage, ce n'est pas un « féminicide », qui qualifie par contre le meurtre par un compagnon qui veut renforcer son emprise, un ex qui ne supporte pas d'être quitté, ou encore des crimes de masse, comme ceux des « incels »  ou la tuerie à l'Ecole Polytechnique de Montréal (dont je reparlerai bientôt, pusique cela fera trente ans le 6 décembre prochain).

En réalité, on pourrait dire qu'actuellement, tuer une femme apparaît comme « moins grave » et que  les féministes veulent simplement rétablir l'équilibre. 22 victimes en Belgique depuis le début 2019, 100 en 3 ans (136 en France cette année, 1500 en dix ans...) et toujours pas de décompte officiel (ce sont des organisations féministes qui s'en chargent et certains faits leur échappent peut-être) , pas de compétence ministérielle ni de budget spécifique pour la prévention, deux plaintes sur trois pour violences conjugales classées sans suite (chiffres de l'INCC), alors que de nombreuses victimes avaient déjà dénoncé des maltraitances avant d'être tuées (voir par exemple ici).

A nos ami·es qui ne comprennent pas l'utilité de marquer les féminicides parce que bien sûr, toute mort est dramatique, je demanderais s'ils/elles ont la même réaction face au mouvement #BlackLivesMatter : des Blancs sont également tués au Etats-Unis, mais il se fait que les Noirs le sont non seulement plus souvent, mais aussi, justement, à cause de la couleur de leur peau. Il en est de même pour les femmes tuées parce qu'elles sont femmes.

 

Mais les hommes aussi...

L'autre argument, c'est que des hommes aussi sont victimes de violences, et qu'on n'en parlerait jamais (bien que personnellement, j'en entends parler pratiquement chaque fois que sont évoquées les violences faites aux femmes...)

Les féministes, en particulier, sont pointées du doigt pour leur silence, sinon leur déni à ce sujet. Outre qu'on ne voit pas pourquoi ce serait à elles de s'en charger, il est faux de prétendre qu'elles nient que des hommes soient aussi victimes de violences. Mais il ne faut pas attendre de tou·tes celles et ceux qui dénigrent le féminisme un véritable intérêt pour ce que les féministes peuvent dire ou écrire...

Très récemment, la fondatrice de l'asbl Garance, Irene Zeilinger, a publié une brochure intitulée « Oui mais les hommes aussi... » Un texte basé sur des recherches et des études, et qu'il faut lire si on veut vraiment connaître une analyse féministe des violences subies par les hommes.

Je ne voudrais pas simplifier des propos très fouillés et argumentés (d'ailleurs vous lirez la brochure, accessible gratuitement sur le web), mais en gros, elle démontre en quoi « les femmes et les hommes pourraient comporter des facteurs de risque et des facteurs protecteurs différents, indiquant le besoin de modèles de prévention, d'intervention et de suivi différents pour diminuer les violences ». Par conséquent, « la lutte contre les violences faites aux femmes doit être menée séparément de celle contre les violences faites aux hommes, avec des acteurs.trices et budgets spécifiques provenant d'autres sources que de celles visant l'égalité (par exemple santé publique, action sociale...) ».

En conclusion « la neutralité de genre dans le débat sur les violences est néfaste, car elle dépolitise le sujet, rendant les violences faites aux femmes invisibles, négligeant de reconnaître leur spécificité en tant que discrimination envers les femmes et réduisant au silence des personnes qui soulignent cette spécificité ».

Et c'est là qu'on retrouve ce terme de « féminicide » : une façon de souligner que ces violences faites aux femmes ne sont pas seulement des actes individuels, mais aussi l'expression et le renforcement d'une société toujours inégalitaire dans les faits si pas dans les lois.

 

Et les auteurs, au fait... ?

Un dernier mot : on parle donc enfin des femmes victimes, de « femmes tuées », de « femmes violentées »... On en oublierait presque que derrière chaque victime, il y a un auteur. Quelquefois, dans la presse, quand paraît une vieille photo du couple du temps où il semblait heureux, le visage de la victime apparaît tandis que celui de l'homme est flouté.

Il ne s'agit pas d'accrocher les portraits des auteurs avec nom et adresse sur les murs de nos villes, mai simplement de retourner la présentation des faits. « Depuis le début de 2019, 22 hommes ont tué leur compagne ou leur ex-compagne en Belgique. En trois ans, ils sont une centaine ». Voilà qui a une autre résonance, non ?



 

A lire aussi sur le sujet, cette Grenade de Laurence Rosier Van Ooteghem


Mis à jour (Lundi, 25 Novembre 2019 11:18)

 

Peut-on aller voir le dernier Polanski ?

Je n'irai pas voir le Dreyfus de Polanski.
Si j'étais propriétaire d'un cinéma, je ne le programmerais pas non plus (ou peut-être dans le cadre d'un cinéclub centré, par exemple, sur la question de la culpabilité/innocence).
Sachant à quoi s'expose une femme qui dénonce une agression sexuelle, comprenant pourquoi si peu le font, je crois jusqu'à preuve du contraire les accusatrices du cinéaste, d'autant qu'il a déjà été condamné pour des faits similaires.
Et je déteste la façon dont Polanski réagit à ces accusations, et plus encore peut-être les arguments de ceux et celles qui le soutiennent.
Et j'estime qu'une prise de conscience de la gravité des violences sexuelles subies par les femmes et les enfants est encore loin d'être acquise et pourtant absolument nécessaire.

Et malgré tout, je ne voudrais pas être assimilée à ces voix, pourtant souvent amies, qui réclament une interdiction du film ou qui traitent de "complices des violeurs" celles et ceux qui iront le voir.
Autant des "hommages" d'institutions me paraissent indécentes (car même s'ils s'adressent au(x) film(s), c'est bien l'homme qui les reçoit), autant le rapport qu'on a avec une oeuvre reste pour moi une affaire strictement individuelle. On a le droit de boycotter ou d'appeler au boycott, on a le droit de ne pas programmer ni promouvoir, mais vouloir "interdire" les oeuvres d'auteurs.trices qui ont par ailleurs commis des crimes, ou défendu des positions racistes, antisémites, misogynes, homo/transphobes, colonialistes (etc, et ça fait un paquet), cela signifie (se) priver d'une bonne partie de la culture.
Alors oui, il faut contextualiser, informer, il ne s'agit pas de "séparer l'homme/la femme de l'artiste", juste se rendre compte que le film, le roman, la pièce, le tableau, la musique d'une crapule peut nous émouvoir ou même nous grandir, ce qui ne diminue en rien sa crapulerie - je dirais même "au contraire". Mais je maintiens que le rapport à l'oeuvre artistique est avant tout un rapport de soi à soi.

Voilà, fin de mon intermède sérieux et même un peu pompeux, je le crains....

 

Second degré

 

Lu dans le Monde des livres, à propos du dernier Philip Kerr : « Il y a plusieurs manières d'exercer son sens de l'humour. L'une consiste à user de son pouvoir pour se moquer des faibles. Une autre, plus critique et plus courageuse, se définit par le contraire : la raillerie exercée en position subalterne, une forme de résistance plus ou moins passive ».

J'y repense en lisant les polémiques qui ont suivi le dernier « exploit » d'Alain Finkelkraut, lançant en réplique à Caroline De Haas, en pleine discussion sur la culture du viol, son désormais fameux «Violez, violez, violez! je dis aux hommes, violez les femmes! D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs. Elle en a marre».

Des propos qui ont provoqué l'indignation, bien au-delà des cercles des féministes extrémistes et poilues, et bien sûr à juste titre.


Culture du viol

Mais on aurait tort de reprocher à Finkelkraut, comme le font certaines, d'avoir « appelé au viol ». Car la réplique est simple (et d'ailleurs largement brandie pour sa défense, car il a encore des défenseurs et même des défenseuses) : c'était du « second degré », et voilà, une preuve de plus que « les féministes n'ont pas d'humour ».

C'était, de toute évidence, du « second degré ». Mais pas moins infâme pour autant. Car ironiser sur un sujet aussi grave mais si mal reconnu, c'est comme plaisanter sur le racisme dans une assemblée de suprémacistes blancs. Pour reprendre le fameux « on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui » de Desproges, je pense qu'il faut aussi identifier qui parle. Il existe des tonnes de blagues juives (d'appellation d'origine contrôlée) qui, dans la bouche d'un·e antisémite, peuvent devenir des armes fatales, surtout si des oreilles antisémites traînent dans le coin. Quand Alain Finkelkraut, qui n'a rien de mieux à opposer aux violences faites aux femmes que la « galanterie », ironise sur le viol, il n'appelle certes pas à violer des femmes, mais il appelle à ne pas prendre au sérieux l'analyse de la « culture du viol ». Or c'est précisément cette analyse qui permet de sortir de l'idée reçue que les violeurs sont juste quelques individus isolés, incapables de maîtriser leurs « pulsions », et que ça ne concerne absolument pas l'ensemble de la société et sûrement pas des hommes aussi convenables que... que, disons, Alain Finkelkraut.

La culture du viol peut se définir comme un "concept sociologique utilisé pour qualifier un ensemble de comportements et d'attitudes partagés au sein d'une société donnée qui minimiseraient, normaliseraient voire encourageraient le viol. Cette culture, comme les autres usages sociologiques du terme culture, renvoie à l'idée que dans une société donnée, les gens partagent des idées, des croyances et des normes sociales" (définition de Wikipedia). On pourrait ajouter : "... et des plaisanteries".


 Frappé par un @MeToo-orite

 Allez, pour terminer, un exemple personnel de cette "raillerie exercée en position subalterne" citée plus haut :

- M. Polanski, il paraît vous travaillez déjà sur un nouveau projet... ?
- En effet... C'est encore secret parce que M. Weinstein, pour cause de problèmes personnels, n'a pas pu débloquer tous les fonds, mais l'idée est là : cela s'appellerait "Jurassic Parc 2". Une façon détournée de parler encore de moi, car dans un éclair de lucidité, je me suis reconnu entièrement dans ces malheureux dinosaures qui n'ont pas vu le monde changer ni compris que leur règne est bientôt terminé, malgré l'immense place qu'ils prenaient;... Dans une scène spectaculaire, ils se prendront une @MeToo-orite en pleine tronche, juste avant le générique définitivement final.

Mis à jour (Vendredi, 22 Novembre 2019 12:38)

 

Qui fera peur aux riches ?

Au lendemain de la chute du mur de Berlin, l'écrivain et journaliste Claude Roy (1915-1997) lançait cette phrase désabusée : "C’est une bonne nouvelle, bien sûr, mais qui fera peur aux riches, maintenant ?"

Cette question, "qui fera peur aux riches... ?" m'avait frappée à l'époque, dans l'euphorie (quasi) générale de la chute du Mur et d'un espoir de réunification européenne. Même un journal d'extrême-gauche, je m'en souviens aussi (même si j'ai oublié le nom du journal) titrait "Le soleil se lève à l'Est". Dangereuse métaphore d'ailleurs, car un soleil qui se lève a très naturellement tendance à se coucher.

Trente ans ont passé et on parlera beaucoup, dans les semaines qui viennent, de ce qui s'est passé dans ce temps-là. Et qui a représenté, n'en doutons pas, une libération pour beaucoup. Vivent-ils/elles mieux aujourd'hui... ? Les "gagneur·ses", sûrement, qui se sont construit des empires sur les ruines de l'ancien monde ; celles et ceux de la "moyenne" sans doute aussi, même si leur nouveau confort semble assez fragile pour qu'ils/ elles cherchet à l'enfermer entre d'autres murs ; à l'autre bout de l'échelle sociale les perdant·es, qu'on les appelle "défavorisé·es" ou "petites gen"», autrefois privé·es de tout, peuvent désormais admirer les vitrines pleines de biens qui leur sont inaccessibles.

Vivant dans un pays libre – même si ces libertés sont aujourd'hui sérieusement rabotées... - je ne me permettrai pas de regarder de haut ce que cela a pu représenter d'heureuse ivresse de pouvoir voyager au-delà du rideau de fer, d'avoir accès au meilleur de la culture (ainsi qu'au pire), d'avoir le droit de manifester et de s'exprimer sans craindre micros ou mouchards – je me souviens encore de ces soirées semi-clandestines entre ami·es « sûr·es » où on mettait la musique très fort pour oser parler, ou chuchoter, librement. Et chaque fois que je râle sur notre "société de surconsommation", je me rappelle l'émerveillement de mes parents de pouvoir acheter un morceau de fromage ou quelques tranches de jambon sans devoir faire des heures de file et en ayant même la possibilité, luxe suprême, de choisir entre plusieurs sortes.

Et pourtant, en ce mois de novembre 1989, au milieu des embrassades et des feux d'artifice, cette question de Claude Roy, "mais qui fera peur aux riches, maintenant ?" me paraissait si juste et prémonitoire, au point de m'en souvenir trente ans plus tard. J'y pense quand je vois ces peuples libérés se jeter avec tant d'appétit dans les bras de ceux qui rognent ces libertés nouvellement acquises (en Hongrie, en Pologne...), j'y pense quand je constate comment dans nos propres pays, des droits sociaux chèrement acquis sont peu à peu (ou parfois plus brutalement) détricotés tout en épargnant, ou même en choyant, les plus hautes fortunes ; et je me dis qu'en effet aujourd'hui, ce sont les pauvres qui ont peur tandis que les riches peuvent tout se permettre (1).

 

Rire de tout ?

Voilà qui rejoint un autre de mes questionnements, apparemment sans rapport et pourtant si : l'humour, le rire, ces biens si précieux (surtout quand le soleil se couche, précisément). Dans un article de 2016, Jean-Claude Guillebaud (qui n'est pas un affreux gauchiste, pas plus que ne l'était Claude Roy) soulignait une évolution qu'on ne relève pas assez : "Si notre époque se moque allègrement des politiques, du pape, des profs, des magistrats, de l’armée, etc., qui ose s’en prendre à la vraie, la seule puissance du moment : l’argent ?" On pourrait ajouter que"l'époque" revendique par contre le droit de se moquer des pauvres, des discriminé·es, toute protestation étant renvoyée à l'infâmant "politiquement correct" et à l'étouffement du droit de "rire de tout". Alors certes, il y a quelques voix qui s'élèvent pour dénoncer l'arrogance des riches, en la tournant parfois en dérision, mais elles sont si peu nombreuses, si peu médiatisées à côté de ces "amuseur·ses public·ques" qui revendiquent leur liberté d'écraser celles et ceux qui sont déjà à terre. Au contraire, les médias même les plus "sérieux" nous invitent à nous extasier (et y arrivent souvent, hélas) devant ces multimillionnaires qui consacrent une petite partie de leur fortune à financer un puits en Afrique ou la recherche d'un remède contre une maladie rare, tandis que les plus modestes sont régulièrement mobilisé·es à montrer leur solidarité avec de plus pauvres qu'eux.

La sagesse populaire d'autrefois nous apprenait qu' "on ne tire pas sur une ambulance". Dans ce monde de captalisme triomphant, désormais, on devrait plutôt dire qu' "on ne tire pas sur une limousine ou un jet privé".


(1) A noter que la Chine n'a même pas eu besoin de faire tomber sa fameuse Muraille, ni de changer son régime politique, pour se retrouver dans la même situation...



Mis à jour (Dimanche, 03 Novembre 2019 10:47)

 
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