Le viol n'a pas de sexe - ah bon ?

En Belgique, l'an dernier, quelque de 3700 viols ont été enregistrés, selon les statistiques du Ministère de l'Intérieur. Soit environ 10 par jour. Et ce n'est que la partie visible de l'icerbeg : « Le Moniteur de sécurité révèle qu’environ 90% des victimes de viols ne porte pas plainte à la police, pour diverses raisons. Ces faits ne figurent dès lors pas dans les statistiques criminelles policières  » (1). Trop souvent encore, les victimes sont culpabilisées : n'ont-elles pas « provoqué » l'agression ? Ou pris des risques inconsidérés en se retrouvant dehors à des moments et dans des lieux « dangereux » ? Serait-ce leur attitude, leur façon de s'habiller ? Se sont-elles « suffisamment » défendues ?

Aussi, quand la ministre de l'Egalité des chances, flanquée de ses collègues de la Santé et de l'Intérieur – trois femmes donc – annonce une campagne de sensibilisation pour inciter davantage de victimes à "briser le silence"; on ne peut que s'en réjouir.

... Du moins, tant qu'on n'a pas décortiqué la campagne elle-même, sur le site www.aideapresviol.be

Commençons par le clip censé inciter les victimes à porter plainte. Outre des idées fausses à metre en cause (Personne ne doit savoir... Mon mari a tous les droits... C'est ma faute...), on y découvre ce scoop stupéfiant : « Le viol n'a pas de sexe ».

Ah bon ?

On voit d'ailleurs, indifféremment, des femmes et des hommes comme victimes. De l'agresseur, pas un mot.


Mis à jour (Jeudi, 20 Février 2014 17:24)

 

Une épine pour Saint-Cavanna

Au départ, je n'avais pas du tout l'intention d'écrire quoi que ce soit à propos de la mort de François Cavanna. Voilà un homme qui a bien vécu, fait le métier qu'il aimait, été adoré autant que vilipendé et qui, à 90 ans, « tire son irrévérence », comme le titrent joliment certains médias. Rien à ajouter.

Mais voilà, devant le torrent de fleurs qui s'abattent aujourd'hui sur lui, je n'en peux plus. Il aurait été iconoclaste, subversif, impertinent, provocateur (tous termes qui vous valent les pires ennuis de votre vivant, mais qui deviennent des compliments après votre mort) ,« l'anti faux cul » écrit le Monde, qui a invité sept de ses amis et collègues à lui rendre hommage. Sept hommes.

Eh oui. Nous y voilà. Cavanna était sans nul doute un écrivain de talent, un dynamiteur de bonnes manières et d'hypocrisies sociales, tous qualificatifs sympathiques à mes yeux. Mais il était aussi un macho de première classe, ce qui n'apparaît guère dans l'auréole à Saint-François tissée par les médias et les réseaux sociaux. L'indulgence dont bénéficie le machisme a le don de m'horripiler. Jamais le racisme ne bénéficierait d'autant de bienveillance (et tant mieux !), du moins dans les milieux que je fréquente.

 

Mis à jour (Vendredi, 31 Janvier 2014 15:56)

 

Angry for Justice !

En se réveillant ce matin du 17 décembre, elle n'en crut pas ses yeux. Des centaines, des milliers de bébés convergeant vers une place de Liège, qui en poussette, qui à quatre pattes, qui sur les épaules de maman ou dans la poche d'un papa-kangourou, levant leurs petits poings et hurlant en choeur : « Non à la récupération ! Lâchez-nous les tétines ! Allez faire vos besoins (de charité) ailleurs ! Pas en notre nom ! » Tapies dans un cube en verre, des personnalités des médias et de la starosphère rengainaient leurs sourires qu'ils venaient de larguer sur le web pour se figer dans une angoisse presque comique. Quoi ? Tou/te/s avaient quitté leurs studios confortables, leurs loges bien chauffées, allant jusqu'à sauter leur petit déjeuner, et pour quoi ? Pour voir ces petits morveux et morveuses sans reconnaissance marcher vers eux, rampant, bavant, sacrifiant leurs premiers pas et criant « A bas Viva For Life, vive Angry for Justice ! », avec l'accent anglais s'il vous plaît, avant même de savoir dire « maman » ! Tandis que d'autres agitaient leurs pancartes, longuement coloriées : « Sauvez les bébés afghans en leur donnant le droit au séjour, tout comme à leurs parents ! Donnez un toit aux bébés roms ! Nous voulons des crèches ! Solidarité avec les sages-femmes françaises en grève ! » Et d'autres encore exigeaient une opération de solidarité obligatoire pour les vieux vivant très au-dessus du seuil de la richesse.

Effrayé par tant d'audace, Pascal Obispo pressenti comme parrain de l'opération préféra se faire porter pâle, annula tous ses concerts et décida de se reconvertir dans la promotion d'une fiscalté plus juste, garante de la pérennité de la sécurité sociale. Et la RTBF jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendrait plus.

... Puis le radio-réveil s'est allumé et elle se réveilla pour de bon. Tout était calme, un animateur expliquait dans le poste toutes les merveilles d'une opération de « solidarité », sur un concept acheté aux Pays-Bas, comme The Voice (et ça,juré, Sébastien Nolleveaux l'a bien dit ce matin). Et elle comprit qu'elle avait seulement rêvé d'une révolte de bébés contre une radio-télé publique vivant très en dessous du seuil de la décence.

 

Ce texte a été écrit sous un coup de colère devant une "opération de solidarité avec les bébés pauvres de moins de trois ans"(Viva For Life, RTBF) aussi grotesque qu'hypocrite qui va pousser de pauvres gens à ouvrir leur portefeuille pour de pauvres qu'eux, sans jamais remettre en cause les politiques qui appauvrissent et précarisent les parents. Parlez-nous de dégressivité des allocations de chômage, de la chasse aux allocataires sociaux, de la pauvreté des mères isolées, de ce statut de cohabitant/e qui empêche tant de précaires de se débrouiller un peu mieux par la solidarité, justement ; parlez-nous des politiques migratoires inhumaines, car oui, les migrant/e/s aussi ont des enfants ! Oui, parlez-nous, au lieu de faire votre show !

Mis à jour (Mardi, 17 Décembre 2013 21:01)

 

Elle n'est pas féministe, mais...

Eh bien non, le capitalisme n'a pas subi un coup mortel, pas même  une légère éraflure. Il n'y a guère d'espoir non plus que votre pack téléphonie-internet-télé vous coûte désormais moins cher. Et les employé/e/s ne verront pas une brusque amélioration de leur statut, leur salaire et leurs conditions de travail.

Et pourtant oui, je persiste à penser que la nomination de Dominique Leroy à la tête de Belgacom est une bonne nouvelle.

Outre que son style change agréablement de celui du coq prétentieux qu'elle remplace, il me paraît important et positif qu'une femme arrive - enfin ! - à un tel poste de responsabilité. Et que ce soit une décision politique me paraît à saluer, en un temps où il est de bon ton de faire confiance à la fameuse « main invisible » pour régler tous les problèmes sociaux et sociétaux (surtout pas de lois, de quotas, que les politiques ne se mêlent de rien et la société évoluera toute seule !)

 

Mis à jour (Samedi, 11 Janvier 2014 15:08)

 

Fred, Marie et les pervers

C'était une belle campagne de la Fédération Wallonie-Bruxelles, destinée à sensibiliser le grand public à la réalité des violences conjugales dans leur version moins connue, mais hélas très répandue : les violences psychologiques : « Fred et Marie » (2011), suivi de « Marie et Fred » (2012). Fred aime Marie, mais il la dénigre, il la contrôle, il l'humilie, l'isole de ses ami/e/s, la détruit ; Marie aime Fred, mais elle finira par le quitter.

En 2013, la nouvelle campagne de la FWB  change de ton : « Un couple sur huit vit l'enfer de la violence conjugale », avec ce slogan quelque peu ambigu : « La violence conjugale, il ne faut pas en avoir honte. Parlons-en ». Certes, on peut penser que la honte n'aide personne ; mais enfin, disons que l'auteur a plus de raisons d'avoir honte que la victime – mais que trop souvent, justement, comme dans les cas de violences sexuelles, c'est la victime qui est la plus gênée.

Il est déjà problématique que dans la campagne « Huit couples » toute question de genre soit évacuée : il y a deux personnes vivant ensemble, et l'une des deux maltraite l'autre. Curieusement, on trouve parmi les huit un couple de lesbiennes, mais pas de gays. La diversité a ses limites. Mais la volonté est tellement explicite de « dé-sexualiser » (ou de bi-sexualiser) ces violences que les termes désignant les comportements sont féminisés (« conjoint-e violent-e »), contrairement aux « professionnels » auxquels il est possible de faire appel et qui gardent leur « masculin universel » (1).

Evacués donc les rapports sociaux de sexe et toute idée de pouvoir inégal entre les hommes et les femmes. Il ne reste que des « couples » vivant non pas une forme de domination, mais un "cercle vicieux qu'il faut rompre".

Dans le même temps, la campagne « Fred et Marie » semble connaître une nouvelle jeunesse sur les réseaux sociaux : «Le spot qui dénonce les pervers narcissiques », peut-on lire comme présentation de la vidéo, devenue une illustration du harcèlement moral.

Et voilà les violences conjugales, phénomène social, transformées en un trouble de la personnalité, une maladie qui se passe de diagnostic médical, causée par... quoi, au fait ? Une enfance difficile ? Un gène déficient ? La pollution de l'air ? Ou encore, un effet secondaire méconnu du Viagra ? Une « maladie » qui peut frapper n'importe qui, homme ou femme, ou qui sait, peut-être même le chat...

Cette véritable disparition des femmes comme victimes – et plus encore des hommes comme auteurs – n'est d'ailleurs pas le fait unique de ces campagnes : on a pu les retrouver dans le malencontreux communiqué de presse de l'IEFH à l'occasion de la très confidentielle « Journée de l'homme ». J'en avais déjà fait le commentaire (1), en insistant, avec l'Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), sur la nécessité d'une analyse de genre pour donner plus d'efficacité aux législations, l'accueil des victimes et la prise en charge des auteurs,

Entendons-nous bien : il n'est pas question de nier l'existence d'hommes victimes de violences conjugales, ni leur difficulté à porter plainte ou la nécessité d'une prise en charge collective de cette problématique. On pourrait très bien imaginer une campagne qui s'adresse directement et spécifiquement à eux, en interrogeant sous un autre angle la construction de la masculinité. Mais il s'agit encore d'hommes et de femmes, de construction sociale, et non de "partenaires" neutres et interchangeables. En faisant disparaître les femmes, les campagnes actuelles tirent à côté de la cible. Au détriment de leur efficacité.

 

(1) Cet extrait est caricatural : "Vous décidez de reprendre votre vie en main ? Ne faites pas cela seul-e. Des professionnels peuvent vous aider."

(2) Voir, dans cette même rubrique, "La Journée internationale de l'Homme blanc hétérosexuel et valide"

Mis à jour (Vendredi, 29 Novembre 2013 17:49)

 
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