Quand la réalité dépasse le poisson

 

Bon, je sais qu'il y en a que j'énerve, qui me reprochent régulièrement mon féminisme « étroit » ou « enragé », ou ma façon de râler tous les matins sur les infos du jour (ou tous les midis, pour les lève-tard), jusqu'à suggérer, parfois, que ma vie doit être bien triste. Mais jamais, au grand jamais on ne m'a reproché un excès d'optimisme. J'ai d'ailleurs été à bonne école, pusique mon père avait l'habitude dire : « Un pessimiste a toujours tort, c'est de ne pas être assez pessimiste ».

Et puis voilà qu'à quelques jours d'intervalle, je me surprends moi-même en flagrant délit de bienveillance envers l'humanité, en me disant « Non, ça c'est de l'intox, un hoax comme on dit chez les modernes, un poisson comme on dit en ce 1er avril, non, ÇA, ce n'est possible ».

Et pourtant : si.

Comment croire qu'au XXIe siècle, en France, on pratique des formes de mutilations sexuelles sur des femmes, avec ou sans leur accord, juste pour augmenter le plaisir du partenaire ? Non, pas parmi ces populations venues « d'ailleurs », mais dans les beaux hôpitaux d'une France laïque, républicaine et égalitaire ? Donc, quand j'ai lu les premiers articles sur le « point du mari », j'y ai à peine prêté attention.

 

Mis à jour (Mardi, 01 Avril 2014 17:56)

 

C'est l'histoire d'une femme...

Dans son pays, elle était cheffe d'entreprise. Et puis la guerre l'a chassée. Elle est arrivée en Belgique à une époque où on pouvait encore espérer être accueillie. Elle a élevé huit enfants, en partie seule. Puis, à plus de 40 ans, elle a décidé de suivre une formation d'employée de bureau parce qu'elle voulait retrouver du travail.

Rien d'une « faible femme soumise », donc.

En attendant de compléter cette formation et de le trouver, ce boulot, elle émarge au CPAS. Et elle est candidate pour un poste en Article 60. Vous savez, cet emploi qui n'en est pas vraiment un puisqu'il ne peut pas se prolonger dans le temps, mais qui permet au moins d'avoir accès aux allocations de chômage (avant, on le suppose , d'en être exclu-e et de retourner au CPAS... L'Article 60, c'est en quelque sorte la concrétisation du mouvement perpétuel...)

Donc, elle se présente dans une association où après passage de tests et entretiens, elle se révèle la meilleure candidate. Voilà, le sésame est entre ses mains... ou presque. Un dernier obstacle subsiste : elle sera engagée à condition d'enlever son foulard. Ce qu'elle refuse. Voilà, une belle association installée en plein Molenbeek, ayant dans son nom le beau terme de « Solidarité » , qui rejette la meilleure candidate parce qu'elle porte le foulard.

Il ne s'agit pas là d'un service public, ni d'une autorité, mais d'un simple poste de secrétariat dans une ASBL, institution privée. Ce n'est donc rien d'autre qu'un cas flagrant de discrimination.

On peut comprendre qu'une femme un peu pardue dans sa recherche d'emploi et les rejets dont elle fait l'objet (on devine que ce n'est pas la première fois...) n'ait pas l'audace, en plus, d eporter plainte au Centre pour l'Egalité des Chances (dont elle ne connaît peut-être même pas l'existence). Mais le CPAS, lui, devrait le faire. Interpellée là-dessus, l'assistante sociale qui s'occupe d'elle est visiblement gênée aux entournures : voux comprenez, on est mal placé, parce qu'au CPAS même, le port du foulard est interdit...

Ben oui. Voilà. D'aucun/e/s diront « elle n'a qu'à l'enlever, son fichu foulard ». D'autres répondront : quoi que nous en pensions, pour elle, c'est une partie de son identité.

Voilà, c'est une histoire que j'avais envie de vous raconter au moment où le Parlement wallon discute d'une résolution visant à interdire le « port de signes convictionnels » pour les fonctionnaires en contact avec le public (mais tout le monde a bien compris qu'il s'agit juste du port du foulard).

Ah oui, quand même, ne pas oublier le happy end : finalement, une autre association, qui se définit clairement comme féministe, a décidé de l'engager. Et je suis fière de faire partie de cette association-là.

Mis à jour (Mercredi, 26 Mars 2014 11:22)

 

Pères et repères

Du temps où j'étais à l'Université, mes cours de psycho clinique m'expliquaient très sérieusement les ravages de l'absence du père : l'enfant risquait de tourner petit délinquant, meurtrier, ou « même homosexuel » (je me souviens bien des termes, gravés dans mon esprit d'étudiante pas très à l'aise, à l'époque, avec mes propres sentiments...) L'absence de la mère, elle, provoquait des troubles de l'attachement. Et surtout pas de confusion des rôles, s'il vous plaît.

Cela ne se passait pas dans un obscurantiste institut catho-judéo-islamique, mais au sein de la très libre-exaministe ULB. Il est vrai qu'on était dans les années 1970, aux tout débuts de la révolution féministe (j'insiste : pas sexuelle, mais féministe, c'est cela qui m'a ouvert les yeux, les oreilles et les perspectives de liberté). Je n'aurais pas pensé que 40 ans plus tard, malgré les avancées pour l'émancipation des femme, l'ouverture du mariage et de l'adoption pour les couples homosexuels et de la procréation médicale assistée pour les lesbiennes, on en serait encore là : la loi du Père, représentant symbolique de la Société, le seul capable d'arracher l'enfant aux risques – que dis-je, à la certitude – de relation fusionnelle avec la mère, et donc, celui dont le nom doit être sanctifié sur la terre comme au ciel – oh pardon, là je crois que je me trompe de registre. Quoique...

Si je reviens sur ces souvenirs, c'est en réaction aux multiples mises en garde qui nous sont assénées devant la menace d'une nouvelle loi, permettant aux parents de faire des choix dans la transmission du nom de famille aux enfants : nom du père, de la mère, ou les deux accolés dans l'ordre choisi. En cas de désaccord, c'est le double nom qui s'imposera, dans l'ordre père-mère. Une évolution qui existe déjà, sous diverses formes, chez la plupart de nos voisins.

Et voilà que le projet de loi soulève un tollé presque digne des délires de nos ami/e/s français/e/s contre la pseudo « théorie du genre » ! Une ambiance de fin de monde, la perte des repères pour nos bambins, le tronçonnage brutal des arbres généalogiques et la montée des risques de consanguinité pour les couples futurs, si, si !

 

Mis à jour (Mardi, 25 Mars 2014 08:59)

 

Ni fleur, ni couronne

Ce matin, en te réveillant, tu m'as souhaité une bonne fête. A moins que tu l'aies fait la veille car cette année, le 8 mars tombe un samedi, et le samedi, tu as foot. Tu t'es glissé dehors et en même temps que les croissants, tu es passé chercher une rose. Une rose rouge. C'est à peine si tu n'as pas suggéré aux enfants de me fabriquer un collier de nouilles, fût-ce en forme de sigle féministe (si tu ne le connais pas, Google te l'offre d'un simple clic). Parce que dans ton esprit, le 8 mars, c'est une sorte de croisement de la Saint-Valentin et de la fête des mères. La « fête de la femme » (1).

Sans vouloir te froisser, je vais remballer ta rose – allez, tu pourras me l'offrir demain, si tu m'aimes toujours. Comme l'ont si bien dit des copines féministes espagnoles, « le 8 mars, ne m'offre pas de fleurs, lève-toi et bats-toi avec moi ! » Je ne veux pas être « célébrée », ni mise sur un piédestal, ni entendre des compliments, ni recevoir de cadeaux : je veux juste que tu prennes mon combat au sérieux et que tu me rejoignes, en respectant mes priorités et mes stratégies à moi, dans toute leur diversité. Et que tu ne confondes pas mes manifs avec un défilé de mode (2).

 

Mis à jour (Samedi, 08 Mars 2014 18:09)

 

"L'Europe vue d'en bas" - de très bas

Peut-être est-ce mon manque d'humour – caractéristique bien connue de féministes comme moi... - mais l'oeuvre de Sébastien Laurent qui soulève actuellement la polémique, cette fameuse carte de l' « Europe vue d'en bas », ne me fait vraiment pas rire. A commencer par l'accumulation de termes dont le seul voisinage suffit à me donner la nausée, les « fours à Juifs » ou les « enculeurs de chèvres », la « lapidation » et « l'excision » présentés en parallèle avec côtoyant des spécialités culinaires ou des styles musicaux...

Si ne s'agissait que d'une oeuvre d'art, je n'en parlerais pas – je n'en aurais d'ailleurs pas entendu parler, et s'il le fallait je la défendrais, car je suis une farouche partisane de la liberté artistique, y compris quand elle heurte mes goûts ou mes convictions. Mais que cette carte puisse servir en classe pour « déconstruire les stéréotypes » des élèves (les profs n'en ayant pas, probablement), là les bras m'en tombent (et donc mes doigts sur mon clavier).

Des stéréotypes, ce n'est effectivement pas ce qui manque sur cette carte, mais pas forcément ceux que l'on croit : assez représentatifs, en fait, des stéréotypes d'un petit-bourgeois belgo-belge qui ne lirait que la Dernière Heure et ne regarderait que RTL. Qui trouverait aussi son nombril plutôt bien fait, mais n'aurait pour les autres que condescendence et mépris (ou même pire si nulle affinité).

 

 
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