(avec une interview exclusivement exclusive du pape François)
Mes ami·es, ne nous faisons pas d'illusions : le Noël de cette année, c'est foutu.
Au mieux, on repassera en Phase 3, avec le droit d'inviter seulement quatre personnes, dont trois qu'on pourra prendre dans ses bras (la quatrième fera partie des forces de l'ordre, chargée de verbaliser en cas de dépassement ; une formation spéciale en mathématiques vient d'être lancée dans la police). Il faudra désinfecter chaque cadeau, ainsi que le papier d'emballage et le joli ruban ; pas question d'aider les hôtes·ses à dresser ou débarrasser la table ; le cubi de gel hydroalcoolique, actionné par une pédale, aura déjà été généreusement répandu sur le sapin.
Au mieux.
Au pire, on devra grelotter dans sa bulle, qui cette année ne sera pas de champagne.
Aussi le pape François, qui n'a pas froid aux oreilles comme on a pu le constater avec son approbation de l'union civile pour les couples homosexuels, a-t-il décidé de prendre le boeuf et l'âne par les cornes pour prendre soin de ses ouailles. Un vent favorable a déposé sur notre écran la fatwa qu'il s'apprête à publier, et dont il a accepté de s'expliquer dans une interview exclusivement exclusive.
- Votre Papauté, la solution que vous avancez paraît bien audacieuse : reporter Noël au printemps.
- Il ne s'agit pas d'un vrai report, seulement d'un ajustement : nous allons rendre Noël mobile, et même papamobile, comme le sont Pâques ou la Pentecôte, ou chez nos amis d'autres obédiances, l'Aïd ou Yom Kippour. Il ne sera pas dit que nous sommes plus rigides que les autres croyants ! Laissons les dates fixes aux mécréants et aux belligérants repentis.
- Cependant, ne craignez-vous pas des réactions indignées de la part de quelques intégristes polonais ?
- Le risque zéro nexiste pas, mais notre Papauté ne craint rien ! Après tout, nous fêtons la naissance de Jésus, et qui nous prouve que ce fut bien un 25 décembre ? Nous n'y étions pas, hein ! (petit rire sympa) Et puisque la date de sa mort varie, il serait logique que celle de sa naissance s'adapte aussi, puisque s'il y a quelque chose de fixe, c'est sa durée de vie.
- Mais cette année, vous allez plus loin : vous proposez de fêter Noël et Pâques en même temps. N'est-ce pas bizarre, comme si la crucifixion de Jésus était une sorte de cadeau d'anniversaire...
- C'est possible, non ? Ces Romains ne manquaient pas de cruauté, les fans d'Astérix le savent bien ! Il fera aussi moins froid pour la messe de minuit, ce qui épargenra le rhume aux personnes vulnérables, dont on sait à quel point elles sont au centre de nos attentions. Et pour ce qui est des festivités familiales, il suffira d'un peu d'esprit d'innovation : du gigot de dinde à table, des oeufs en chocolat pour garnir le sapin... à moins qu'on ne le remplace, l'année prochaine, pas un saule pleureur.
- Merci, Votre Papauté, et joyeux Pâquoël à toustes.
Petite mise au point, sans ironie...
A force de prendre le contre-pied de certains enthousiasmes, je crois m'être pris une réputation d'"anti-masque" rabique... ce que je ne suis pas. Si je ne suis vraiment pas convaincue que tout le monde (à commencer par moi) le porte dans les règles de l'art, je comprends parfaitement qu'il peut servir de barrière, plus ou moins imperméable, à toutes sortes de saloperies qu'on pourrait se refiler les un·es aux autres. Tout comme à la pollution de l'air qu'on respire (ce qui fait son succès dans les pays asiatiques, avec ou sans virus).
Ce qui me fait réagir, c'est le masque... sur les yeux. Cette façon de transformer un mal nécessaire en un détail sans importance, quand ce n'est pas un nouvel accessoire de mode ou une sorte de pancarte pour afficher des positions politiques!
Et surtout, je suis (es)soufflée de constater avec quelle facilité on met ses convictions en poche (à côté de son masque roulé en boule, tsss tss...) pour ignorer des effets secondaires qu'on dénoncerait à hauts cris dans d'autres circonstances.
Ainsi, des personnes très préoccupées d'écologie ne semblent pas voir combien déjà ces déchets polluent leurs chers océans (et ce n'est qu'un début). Certes, elles plaident (assez discrètement d'ailleurs) pour le "lavable" contre le "jetable", mais ces lavages systématiques (si l'on respecte les normes) ne sont-ils pas eux-mêmes gloutons en eau et en énergie ?
Ainsi, des personnes très éprises de liberté, limite anars, ne se contentent-elles pas de "recommandations "des autorités mais exigent des "obligations" et des "interdictions", ce qui implique forcément des "sanctions" de la part de cet Etat qu'on dénonce par ailleurs comme "policier", avec les risques d'abus, car on sait que tout le monde n'est pas "surveillé" de la même façon (il serait intéressant de connaître le profil des personnes verbalisées au plus fort du confinement, quand s'asseoir seul·e sur un banc était considéré comme un délit).
Ainsi, des personnes d'habitude soucieuses de bien-être, partisanes d'"ajouter de la vie aux années plutôt que des années à la vie",ignorer voire se moquer des difficultés très réelles de certain·es, que ce soit pour des raisons physiques ou psychologiques, à supporter le masque, réduit à un "petit inconfort". A l'inverse, on voit des gens qui ne se sont jamais préoccupés du sort de leur congénères, et notamment de la relégation des personnes âgées, agiter soudain à grand bruit le drapeau de l'"altruisme" et du sort des "aîné.es".
Je ne suis donc pas "contre" le masque, je suis juste "contre" la négation de ses effets secondaires, que ce soit sur le bien-être, la convivialité et plus largement sur le renforcement de la surveillance généralisée. Parce que si on veut maîtriser ces effets secondaires et les réduire au minimum, il faut d'abord les reconnaître et chercher des voies pour les contourner, les compenser ou au moins, les rendre moins pesants.
PS : et le prochain qui me renvoie à Trump ou Bolsonaro, je le renvoie à Xi Jinping
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J'ai une amie proche ; appelons-la C. Elle a 83 ans, plein d'énergie, même si la cigarette dont elle ne s'est séparée qu'il y a une dizaine d'années lui laissé une bronchite chronique. Trois fois par semaine, elle fait du bénévolat dans une association où elle trie du linge et des vêtements. Pour s'y rendre elle prend le transports en commun, tout comme les autres jours, pour aller marcher en forêt ou en ville.
Une vraie friandise pour le virus.
Quand on se parle au téléphone (car on ne mélange pas nos bulles), elle se plaint parfois d'être épuisée le soir, de manquer de temps pour faire le ménage, et puis quand est-ce qu'elle arrivera à laver les carreaux ? Alors bien sûr la tentation est grande de lui dire : "Arrête-toi. Prends quelqu'un pour t'aider à la maison. Ou au moins, pousse sur le frein". Si j'essaie, timidement, elle me répond : "Ah mais je ne peux pas, il y a trop de boulot, tu ne te rends pas compte". Je la soupçonne même, quand des collègues sont malades ou en congé, de dépasser ses trois demi-jours de travail par semaine. Bien sûr j'ai aussi la tentation de lui demander : et les masques ? La distance ? Est-ce qu'au moins vous portez des gants... ? Mais je m'abstiens.
Alors peut-être que ce fichu virus finira par la rattraper. Peut-être qu'elle devra être hsopitalisée, qu'elle «encombrera» un de ces lits en soins intensifs dont elle «privera» de plus jeunes, de plus vaillant·es. Ce serait sûrement plus «prudent» qu'elle arrête son bénévolat, qu'elle se contente de balades dans le quartier ou qu'elle aille au bois en voiture, qu'elle reste chez elle à regarder des séries à la télé (pas son genre) ou à lire (ouf, elle adore la lecture). Mais voilà : s'il est possible qu'en en se comportant comme elle le fait, elle risque de mourir (du moins, plus tôt que si elle ne le faisait pas), il est certain qu'en renonçant à ses activités, elle serait déjà en train de dépérir. Comme ce fut le cas durant le confinement.
Conduites à risque
Si je vous parle de C., c'est parce qu'il m'arrive souvent d'avoir l'air de me moquer, ou d'être en colère, contre les mesures conseillées, ou recommandées, ou imposées par les expert·es et les politiques pour nous protéger du virus. Si bien qu'on pourrait me renvoyer au rang des «anti-masques» ou les «conspirationnistes». Mais non, je ne crois pas que le virus ait été fabriqué par (biffer les mentions inutiles) le Mossad - le Hezbollah – la CIA – Poutine – un labo chniois – la Vivaldi – le Mozart (liste non exhaustive), qu'on nous ment pour mieux nous surveiller (des fois on nous raconte des bobards et des contre-bobards, certes, mais je pense que c'est surtout que c'est parce quue tout le monde est un peu perdu). Je crois que c'est en effet une maladie grave, qui peut tuer ou laisse des séquelles, qu'on n'est pas près de s'en débarrasser et qu'il faut respecter certaines précautions (d'ailleurs mon amie C., depuis le mois de mars, je ne lui ai parlé qu'une fois autrement qu'au téléphone, et rapidement, et à bonne distance). Je suis même convaincue que si on s'enferme chez soi, qu'on se fait livrer ses courses, qu'on télétravaille et qu'on ne voit personne en dehors de celles et ceux qui sont enfermé·es avec soi, le risque de contamination est proche de zéro (en tout cas pour soi et les siens).
Mais à quel prix ?
Là je vous ai parlé de C. et de son besoin de bouger, s'activer, se sentir utile. Pour d'autres, c'est le besoin d'aller nager, participer à une chorale, assister à des spectacles vivants, ou encore voir ses proches, les serrer dans ses bras. Toutes conduites «à risque». Mais l'autre risque, tout aussi réel, comme pour amie C., c'est de dépérir en s'en privant. Et c'est d'autant plus vrai quand on avance en âge.
J'entends parfois ces bons conseils du style. "Quand on aime ses proches, on ne s'approche pas trop, et chaque fois je ressens la même crispation. Si vous voulez revoir vos grands-parents, restez à distance... pour combien de temps ? On n'en sait rien, un «certain temps» comme dirait Fernand Reynaud dans un sketch célèbre. Les jeunes peuvent sans doute attendre (quoique l'impatience soit aussi un trait de la jeunesse). Mais les grands-parents ? Les retrouvera-t-on vraiment au bout de ce «certain temps», et dans quel état, après que la solitude et/ou la privation de ce qui était important à leurs yeux les aura déprimé·es, désorienté·es, voire fait « glisser » vers une mort désespérée ?
C'est sans doute mon âge, ma propre histoire, mes propres angoisses qui me poussent à cette sur-sensibilité au sort des «vieilleux», si seul·es et tristes même si surprotégé·es, au risque, par peur de mourir, d'être privé·es et de se priver de vivre, tout simplement. C'est ce que mon amie C. refuse, justement, et même si j'ai peur pour elle, si je suis tentée de lui donner mes bons conseils qu'elle ne me demande pas, je m'en abstiens et je la soutiens dans ses choix.
Voilà un rapprochement qui peut paraître provocateur : pas certaine du tout que la plupart des femmes portant le foulard soient des militantes du droit à l'avortement, ni qu'une majorité de féministes qui ont fait des droits reproductifs des femmes leur jument de bataille soient prêtes à s'opposer aux diverses interdictions, aux études et à l'emploi, visant les femmes voilées.
Et pourtant, il s'agit bien du même combat : celui pour la liberté des femmes de décider de ce qu'elles font de leur propre corps, et du refus que d'autres leur imposent interdictions comme obligations, qui ne sont que les deux faces d'une même médaille patriarcale.
"Mon corps, mon choix"
L'actualité de ce début du mois de juillet a rapproché ces deux combats, avec d'une part un débat sur la dépénalisation « avorté » au Parlement et d'autre part, une manifestation imposante contre l'exclusion des femmes de certaines filières d'enseignement à cause de leur hijab.
Les deux sujets concernent les droits des femmes, sont très « chauds » en ce moment et provoquent bien des indignations... mais pas forcément du même côté. Pourtant, les points communs ne manquent pas. Et les arguments « pour » ou « contre » ne manquent pas de se recouper.
Prenons l'argument souvent brandi, y compris par des féministes, pour délégitimer le choix de se couvrir les cheveux. Comment, des femmes osent présenter leur foulard comme une liberté, alors que d'autres femmes,dans des pays comme l'Iran, se battent parfois au péril de leur vie pour avoir le droit de l'enlever ? Revendiquer ici ce qui est imposé là-bas suffirait à renvoyer ces "irresponsables" du côté de l'islam radical, si pas du terrorisme.
Revenons donc aux années 1970. Tandis que les féministes françaises se battaient pour le droit à l'avortement, d'autres femmes, vivant à l'autre bout du monde et pourtant tout aussi françaises, mais « racisées » comme on ne le disait pas à l'époque, se voyaient imposer stérilisations et avortements forcés. Cela se passait notamment à la Réunion. Ailleurs, des femmes roms ont longtemps subi diverses formes de « contrôle des naissances » sans leur accord, en Europe de l'Est et jusque dans la bienveillante Suède. Et aujourd'hui encore, en Chine, des femmes ouïghoures subissent les mêmes violences.
Quelle féministe défendrait l'idée que ces exemples, hélas non exhaustifs, exigent l'arrêt de toute mobilisation en faveur du droit à l'avortement (et son élargissement) dans nos pays ? La réponse est simple : « Mon corps, mon choix ». Imposer et interdire sont aussi inacceptables. Pourtant, cette évidence ne semble pas fonctionner pour tout le monde en ce qui concerne le foulard.
Ni pro foulard, ni pro avortement, mais pro liberté
On pourrait pousser le parallèle plus loin. Dès qu'on évoque le foulard, le soupçon apparaît : peut-on parler d'un « vrai choix » de la femme concernée ? N'y a -t-il pas de pression familiale, sociale, ne s'agit-il pas parfois d'une condition pour « avoir la paix » plutôt que d'une véritable « conviction » ? Il m'a toujours paru absurde (pour ne pas dire « hypocrite ») de justifier l'exclusion de femmes par les pressions qu'elles pourraient subir, ce qui ne fait que les renvoyer à ces pressions en leur enlevant encore des moyens de se défendre, comme l'éducation ou l'indépendance financière. Je n'ai jamais compris la « logique » de l'émancipation par l'exclusion.
Mais revenons à l'avortement. Certes, le principe défendu est que « la femme décide ». Est-on sûr·e pour autant que cette décision est tout à fait « libre », prise sans aucune pression de l'entourage, jamais motivée par les réticences d'un compagnon ? Et les difficultés économiques qui poussent à certaines demandes d'avortement, qu'est-ce d'autre qu'une forme de « pression sociale » ? Pourtant, il ne viendrait pas à l'idée des militant·es pour le droit à l'avortement d'exiger davantage de « contrôle » sur la motivation des femmes ; au contraire, le but est d'affirmer un « droit » qui n'appartient qu'à la personne elle-même, qui devrait pouvoir déterminer si elle a besoin ou non d'un accompagnement pour les questions qu'elle se pose éventuellement.
Jusqu'ici, j'ai surtout interpellé mes amies féministes qui défendent la liberté de choix en ce qui concerne la décision d'avoir ou non un enfant, mais la nient dès qu'on évoque le hijab. Mais mon regret va dans les deux sens : on retrouve encore moins de ces femmes si combatives pour le droit de porter le foulard dans les mobilisations qui concernent l'avortement. Je peux imaginer sans peine que pour certaines, leurs convictions religieuses constituent un frein. Cependant il ne s'agit pas d'être « pro avortement », comme il ne s'agit pas d'être « pro hijab », mais simplement « pro liberté des femmes de décider pour elles-mêmes ». On peut refuser l'avortement pour soi et pourtant en revendiquer le droit pour les autres, tout comme on peut se mobiliser contre l'interdiction du foulard sans le porter soi-même.
Combien nous serions plus fortes si nous arrivions à nous battre ensemble, plutôt que de nous ignorer, au mieux, et de nous opposer, au pire... Mis à jour (Jeudi, 09 Juillet 2020 12:03)
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