Les chômeurs par le collier
Dans la série du papillon qui bat de l'aile, je vous avais promis une analyse des droits dérivés. Mais l'actualité a changé l'ordre de mes priorités...
« Quand on prend les gens par le collier, on peut les activer ». Voilà une déclaration fracassante, bien digne du « budget viril » annoncé par Elio Di Rupo lors de la prestation de serment du nouveau gouvernement belge. On pourrait penser que dans un pays libre, les gens n'ont pas de « collier », même pas les chômeurs. Pas encore. Mais peut-être que Monica De Coninck, auteure de cette affirmation, qui paraît-il ne maîtrise pas parfaitement le français, voulait dire « prendre par les couilles ». Bon d'accord, c'est très bas comme suggestion de la part d'une féministe...
Donc, en Belgique, nous avons une nouvelle ministre de l'Emploi. Une femme (j'en vois qui ricanent au fond de la salle). Socialiste (y en a qui gloussent sans se gêner). Dans un gouvernement dont le premier ministre est lui aussi socialiste, même si la coalition au pouvoir comprend les partis libéraux, flamand et francophone - perdants des dernières élections, rappelons-le.
Donc, cette ministre de l'emploi, Monica De Coninck, a présenté ses projets pour lutter contre le chômage (1). Ce qui, ces dernières années, revient à lutter d'abord contre les chômeurs. Avec Mme De Coninck, voilà une tendance qui ne risque pas de s'inverser. Au contraire, elle va s'aggraver.
Selon Mme De Coninck, il y aurait « du travail pour tout le monde ». Les chômeurs n'ont donc qu'à se baisser pour le ramasser (2) mais comme on ne peut pas compter sur eux pour se « prendre par le collier », c'est elle qui va s'en charger. Comment ?
Les chômeurs de longue pourront désormais bénéficier de contrats « plus flexibles ». Parce que vous ne vous en étiez peut-être pas aperçu, mais des contrats flexibles et même ultra flexibles (genre intérim), avant Mme De Coninck, ça n'existait pas en Belgique. Désormais, il y aura des contrats de six ou huit mois, auxquels l'employeur pourra « facilement » mettre fin. Parce qu'actuellement, pour un intérimaire ou même un CDI en période d'essai – 6 mois, justement – c'est vachement difficile de se débarrasser d'un employé qui ne convient pas. Ou d'un employé qu'on peut remplacer par un autre tout aussi « flexible » - entendez, pliable à merci.
Bon, il y a ceux et celles qui n'ont pas de veine : c'est que (je la cite) « dans notre société, les normes sont très élevées : pour réussir, il faut être beau, intelligent. Il y a un groupe de gens qui ne peuvent pas atteindre ces normes. C’est un problème qui touche beaucoup les migrants quand ils ont un certain âge ». Tout le monde ne peut pas être beau et intelligent comme la ministre (pour prendre un exemple) mais vieux, migrant, bête et laid : c'est sûr, il y en a qui cumulent. Ajoutez "femme" et "handicapé", et ça devient vraiment difficile à caser. Sans compter les « inadaptés sociaux, alcooliques, drogués ». Alors, pour ceux-là, il y aurait des « travaux d'intérêt général ». On pourrait penser qu'un travail "d'intérêt général", contrairement à un travail d'intérêt privé ou sans intérêt du tout, mérite les meilleur/e/s, avec des contrats stables, bien rémunérés. Mais non. On devrait suggérer à Mme De Coninck de prendre exemple sur la Hongrie, avec ses camps de travail pour les « inadaptés ». Poussons la logique jusqu'au bout...
Parce que oui, c'est le terme qu'elle a employé : « inadaptés sociaux ». Certes, Mme De Coninck a donné l'interview en français, langue qui n'est pas la sienne. Mais elle a pu relire l'article et n'a pas tiqué, et pire, à part les gauchistes habituels, peu de journalistes (3), de collègues ou de "camarades" (rappelons qu'elle est "socialiste") ont réagi, y compris parmi ceux qui maîtrisent parfaitement la langue de Molière et d'Olivier Maingain (4). Qu'un Marcourt se lâche sur une éventuelle régionalisation de l'enseignement, ça, c'est inacceptable, alors qu'il s'agit d'un vrai débat (même s'il n'est pas posé au meilleur moment). Mais les "inadaptés sociaux" ? Rien à redire.
Alors, rien de positif dans les mesures annoncées ? Ah si, les jeunes vont avoir droit à des congés payés dès la première année de travail (mais c'est l'Europe qui l'impose, en fait). Et Mme De Coninck veut que tout le monde puisse travailler avec moins de stress pour travailler plus longtemps. Des mesures concrètes ? Ben... euh... Moins de stress dans des emplois plus flexibles, voilà qui témoigne d'une inventivité hors du commun.
Dernière trouvaille, la répartition équitable des licenciements - puisqu'il n'est pas question d'une répartion équitable des richesses. Désormais, les entreprises ne pourront plus se débarrasser des vieux, trop chers, trop lents à s'adapter, pas assez flexibles. Non, elles devront « respecter la pyramide des âges ». Comprenons-nous bien : il ne s'agit pas de ne plus virer les vieux, mais de virer aussi les jeunes. Equitablement. Comme le fait remarquer le SETCa, les plus âgés ayant des salaires plus élevés, il faudra supprimer davantage de postes pour arriver à la même économie de masse salariale... puisque ces « économies » elles-mêmes ne sont nullement remises en question. Y compris pour les entreprises qui font des bénéfices.
Ben, heureusement qu'on a les socialistes, on n'ose pas imaginer ce que ce serait avec les libéraux...
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Libre Belgique, 24 janvier 2012
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Bien que la Commission européenne estime que la Belgique est le pays de l’Union qui affiche le plus faible taux de personnes sans emploi « passives », celles qu'il s'agirait donc d' « activer » par le collier
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Gloire donc à Paul Hermant qui en a fait l 'objet de sa chronique : http://www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_monica-la-sinistre-de-l-emploi-paul-hermant?id=7449183&;chroniqueurId=5588333
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Pour mes ami/e/s non belges, il s'agit du président du FDF, obsessionnel défenseur des francophones de Belgique
Mis à jour (Mardi, 06 Mars 2012 23:47)