Peut-on encore aimer la mer ?

Peut-on encore aimer la mer... ?
Me voilà assise sur cette plage surpeuplée, par un jour de grande chaleur ; mais face aux vagues, je suis, j'ai toujours été, seule au monde. Ce jour-là, pourtant, je la regarde d'un autre oeil...
Comment aimer encore cette étendue grise, frissonnante d'écume, aux reflets argentés lorsque le soleil baisse ? Même si ce n'est pas elle qui renverse, avale, rejette, mais sa petite soeur du sud, plus chaude, plus bleue, en apparence plus calme.
Comment voir la mer désormais autrement que comme un grand cimetière, ou pire une belle meurtrière par indifférence, ne cessant de provoquer la mort sans intention de la donner ?
Certes les cimetières aussi sont des lieux de fraîcheur, de quiétude, d'apaisement parfois lorsqu'on s'y promène, sans intention précise ni chagrin particulier.
Mais dans les cimetières, les corps reposent en paix ; ils ont chacun leur nom, leur place, ils ont été lavés, habillés, une main douce, ou au moins amicale, en tout cas rarement hostile, leur a fermé les yeux. Ils sont allongés sur le dos, les mains jointes, et même s'ils ont vécu les pires souffrances, d'autres mains, expertes, les ont effacées de leur visage. Ils n'ont pas été ballottés au gré des vagues et des courants, pour finir par échouer, gonflés d'eau et de désespoir, sur une plage pleine de touristes, comme celle que j'observe en ce moment.
Peut-on encore aimer la mer... ?

 

(Bredene, 22 juillet 2019)