Actiris : neutralité et diversité sont dans un bateau...

Actiris, l'office bruxellois de l'emploi, s'est déjà ridiculisé en s'associant au projet d'émission de la RTBF « Je veux ce jooob ! » puis, suite aux réactions citoyennes indignées, en s'en retirant piteusement... une bonne semaine après que le projet ait été suspendu par ses promoteurs (1).

Plutôt que de se faire oublier, le voilà qui prétend se transformer en chantre de la neutralité la plus bornée, en menaçant de licenciement trois de ses employées dont le seul tort est de porter le foulard. En durcissant son règlement interne, l'office chargé de faciliter l'accès à l'emploi et de lutter contre les discriminations se propose donc d'envoyer au chômage trois de ses propres employées, sans avoir à leur reprocher la moindre faute professionnelle. Et on peut craindre que d'autres organismes publics  lui emboîtent le pas, avec la bénédiction syndicale.

Le site d'Actiris se réfère pourtant à des « valeurs », ce terme en vogue aujourd'hui dans les entreprises, comme si le seul fait de les écrire dispensait de les respecter ou de les interroger. Et non seulement ces valeurs sont évidemment opposées à toute discrimination mais mieux que cela, elles portent haut et fort la promotion de la « diversité », cet autre terme passe-partout.

 

Il faut litre cette liste de bonnes intentions : « Actiris promeut une politique de diversité et de non-discrimination aussi bien au sein de sa propre institution qu’auprès des chercheurs d’emploi qui sont accueillis quotidiennement. Concrètement, cela implique : une égalité de traitement sans discrimination d’âge, de sexe, d’origine, de conviction philosophique et religieuse ; une interdiction d’accepter des offres d’emploi discriminatoires ; une politique de diversité interne s’articulant autour de 5 points (dont) l'égalité des hommes et des femmes au travail (et le) recrutement et promotion de personnes d’origine étrangère (...)».

Or l'interdiction du port du foulard – y compris pour des employées qui ne sont même pas en contact avec le public ! - est bien une discrimination sur base d'une conviction religieuse, et de plus, sur base du sexe : on sait que la « neutralité d'apparence » ne vise en fait que le foulard. Les hommes musulmans qui ont été sanctionnés professionnellement l'ont été sur base d'un comportement (refuser de serrer la main d'une femme ou de servir de l'alcool, quoi qu'on pense de ces motifs), pas sur celle de la longueur ou de la forme de leurs poils au menton.

D'autres prépareront une riposte, mais plus fondamentalement, la question qui est posée ici est la suivante : la neutralité et la diversité sont-elles compatibles ou bien, lorsqu'elles montent dans un même bateau, l'une doit-elle céder la place à l'autre (et on devine laquelle) ? Que signifie « promouvoir une politique de diversité », quand on exige qu'elle soit invisible ? Est-ce le « Don't tell don't ask » longtemps proposé aux homosexuel/le/s, notamment dans l'armée américaine ? Est-ce le fait d'engager des personnes plus âgées à condition qu'elles aient le look jeune, ou des femmes à condition qu'elles se comportent comme des hommes ? En d'autres mots, la diversité revue par la neutralité, est-ce passer "du pas pareil au même" – et au même dominant ? Si le féminisme nous a bien appris quelque chose, c'est la méfiance vis-à-vis des points de vue qui se présentent comme "neutres" ou universels, et ne sont en fait que ceux des dominants.

 Ou bien la diversité est-elle une façon d'estimer que les différences enrichissent la société, l'entreprise, l'organisation ? Et lorsqu'il y a conflit – car il ne faut pas faire d'angélisme – d'exiger qu'elles soient négociées, d'un point de vue rationnel ? A noter que lorsqu'il s'agit d'appâter la clientèle, la « diversité » est immédiatement comprise comme une variété de besoins, d'envies, réels ou supposés, de certaines catégorie de consommateurs. Et que les entreprises d'y adaptent sans rechigner : voir le "marketing ethnique".

 Peut-être faudrait-il rappeler à Actiris la position de Bruno de Lille : "La façon dont les gens se présentent derrière un guichet dans une administration n’a pas d’importance, c’est la neutralité de leur travail qu’il faut contrôler. Cela veut dire qu’une personne peut être derrière le guichet avec un foulard, mais elle n’a pas le droit de ne pas serrer la main à un homme, ou de ne pas parler à un homme, ou de ne pas vouloir marier un couple homosexuel… Je pense que la neutralité totale comme certains l’imaginent n’est pas faisable" .

Et pour en revenir à Actiris : si jamais il lui faut un nouveau slogan, je propose celui-ci : « Actiris me hérisse ». Ne me remerciez pas, c'est vraiment de tout coeur.

 

(1) Du moins à en croire la réponse de la ministre Frémault à un courrier citoyen du groupe RTBF89. De bonne source, Actiris a pris sa décision plus tôt, sans attendre la suspension de l'émission, tout en reconnaissant avir commis des erreurs dans cette aventure. Dont acte.

Mis à jour (Vendredi, 19 Juillet 2013 09:02)